On avait laissé Mathieu Amalric réalisateur en pleine introspection sur son métier, charmé les formes voluptueuses et opulentes des danseuses New Burlesque qu’il a largement contribuées à remettre au goût du jour. Depuis, on le croisait régulièrement comme acteur. Le revoilà donc et pour la quatrième fois derrière une caméra.
Dans les griffes d’une prédatrice
Amalric a choisi d’adapter un roman de Georges Simenon et s’amuse des codes du polar, pas tant pour les détourner que pour les pousser dans leurs retranchements. L’argument est simple, une histoire d’adultère qui tourne mal, très mal. Lui est un concessionnaire de machines agricoles qui a a réussi, marié, père d’une petite fille.
Il est revenu depuis quelques années dans la région de son enfance et y retrouve Esther, une amie de lycée, mariée elle aussi et devenue la pharmacienne de la petite ville de province où tout ce beau monde habite. Dès qu’elle le revoit, Esther le veut. Elle l’aura. Au prix fort.
Bien monté
Ce qui est le plus réussi dans ce drame provincial qu’Amalric s’applique pour le coup à détourner en choisissant des lieux non pas emblématiques mais plus modernes, comme cette superbe maison où il habite, c’est le montage scrupuleux du film. Un montage original du récit tout d’abord où se mêle l’histoire de l’adultère, l’enquête policière puis le jugement et cela sans temps mort.
Mais surtout, Amalric a utilisé une astuce qui dynamise le récit : les dialogues sont légèrement décalés et amorcent ce que l’on voit à l’écran, l’oral devançant de quelques secondes la preuve apportée par l’image. Ce qui parvient en même temps à renforcer le suspense et impulse un rythme particulier au film.
Manque de passion
Jamais Amalric réalisateur, n’avait jamais tant fait la preuve de son talent. Pour la première fois, il ne base pas du tout son film sur une seule idée maligne (la révélation du New Burlesque par exemple) mais multiplie les qualités pour se parer de tous les atouts : la musique est envoûtante, la prise de vue intéressante et le jeu des acteurs à l’unisson, sauf et surtout au début, Stéphanie Cléau, sa partenaire à la ville et au scénario. Mais, c’est surtout la structure narrative et son montage décalé qui donne tout ce sel à cette Femme d’à côté, sans toutefois la passion dévorante du film de Truffaut.
De et avec Mathieu Amalric, Léa Drucker, Laurent Poitrenaux, Stéphanie Cléau…
Le papillon, le film précédent du réalisateur Philippe Muyl, a eu tellement de succès en Chine qu’un producteur français installé là-bas lui a proposé d’en imaginer un remake chinois. Muyl a préféré imaginer un autre récit, plus ancré dans la culture locale et co-écrit avec une actrice chinoise.
Deux facettes
Le promeneur d’oiseau qui est avant tout une magnifique promenade entre Chine urbaine et traditionnelle, s’ancre complètement dans la réalité actuelle. Renxing, 10 ans, est l’enfant unique et donc archi-gâtée d’un couple happé par sa réussite sociale et professionnelle. Elle habite à Pékin et ne voit jamais son grand-père, Zhigen.
Au hasard d’agendas professionnels surchargés, Renxing se retrouve à la charge de son grand-père. Ensemble, ils partent pour le village natal de Zhigen qui s’est enfin décidé à tenir la promesse qu’il a faite à sa femme, morte il y a plusieurs années.
Racines
Le film raconte le contexte mais aussi le long périple qui va permettre à la petite fille de découvrir son grand-père, ses racines et une autre culture que celle de la ville tentaculaire qu’est devenue Pékin, de sa solitude et de ses nouvelles technologies. La découverte de la campagne chinoise profonde est vraiment merveilleuse, plus intéressante que l’histoire familiale dopée à l’extrême de bons sentiments inutiles.
De Philippe Muyl, avec Li Bao Tian, Yang Xin Yi, Li Xiao Ran, Qin Hao
25 ans, 4 longs métrages et un cinquième, « Mommy » annoncé en compétition officielle du Festival de Cannes 2014. Xavier Dolan est pressé et doué. Et Xavier Dolan est centré sur l’intime disfonctionnel, sur l’incapacité d’une famille à respecter l’individualité de chacun, à tolérer chaque personnalité, à ne pas rejeter les marginalités.
L’intrus
« Tom à la ferme », comme ses trois films précédents est un film fort, puissant, un brûlot contre l’homophobie de la province, de la campagne. L’homophobie des champs.
Adapté d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, le film reprend la trame de l’histoire de Tom. Jeune publicitaire de Montréal, branché, urbain, il débarque comme un cheveu décoloré sur la soupe dans une ferme éloignée de tout. Il y vient pour les funérailles de son amoureux et comprend très vite, que sans être malvenu, il n’y a pas sa place. Personne ne le connaît, personne n’a jamais entendu parlé de lui, personne ne veut surtout savoir qui il est, ni ce qu’il représentait pour le défunt.
Se mentir
Et pourtant, il reste. Subjuqué par cette famille apparemment soudée, fasciné par les travaux de la ferme qui semblent lui redonner une virilité timide, tenu sous la coupe de Francis, le frère aîné du mort qui, on le saura plus tard, est cantonné à son rôle de fils de la ferme sans aucune échappatoire possible.
Dans ce huis-clos pesant, rendu encore plus étouffant par les quelques lignes de fuites qui s’offrent à Tom et qu’il ne saisit jamais, Xavier Dolan signe un réquisitoire efficace et puissant contre les secrets de famille, contre le mensonge, contre les apparences, contre l’homophobie, contre l’intolérance… Avec pour l’objectif de montrer, comme l’écrit si bien Michel Marc Bouchard, « avant même d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir ». A se mentir aussi.
BO au top
La réalisation qui joue sur un étouffement progressif reprend avec intelligence les codes du thriller, misant autant sur la terreur psychologique que sur la violence physique , le tout étant emporté par une mise en musique éblouissante. Ce qui n’a rien d’étonnant tant c’est une des marques de fabrique du talent de Xavier Dolan. Sauf que cette fois-ci, c’est Gabriel Yared qui officie. Brillant.
Avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Elise Roy, Evelyne Brochu…
Suzanne, le deuxième film de Katell Quillévéré, a ouvert le jeudi 16 mai à 20h la 52e Semaine de la Critique à Cannes. Suzanne ou l’émouvante destinée d’une jeune femme et de sa famille.
La fascination du mâle
Suzanne a grandi auprès de son père et de sa sœur, Maria, un peu plus jeune qu’elle. Leur mère est morte quand elles étaient enfants et c’est peu dire que leur père, un chauffeur routier parfois absent, a toujours été aimant, très entourant.
Les deux filles grandissent ensemble, très proches et très soudées, chacune avec leur caractère. A peine adulte, Suzanne, la plus rebelle, tombe enceinte. Charlie nait et la vie reprend son cours. Mais Suzanne rencontre bientôt Julien, un garçon dont elle tombe violemment amoureuse. Pour le meilleur mais aussi pour le pire…
Biopic d’une anonyme
Avec ce deuxième film, Katell Quillévéré fait preuve d’une réelle confiance en elle. L’histoire de Suzanne, qui s’étale au moins deux décennies et avec une succession d’événements forts, est racontée avec une économie de moyens et une maîtrise du rythme assez originale. En gros, elle choisit de s’attarder sur l’essentiel, mais son essentiel a elle peut être furtif, fugace ou parfois prendre du temps, ce qui est parfois déstabilisant.
En revanche, Katell Quillévéré brille dans deux domaines : quand elle met en scène les relations entre les deux sœurs, révélant entre elles une union au-dessus du reste, et cela malgré les absences, et les heurts de la vie. Et surtout dans sa direction d’acteurs. Si Sara Forestier et Adèle Haenel parviennent à composer un duo aussi complice qu’équilibrée, François Damiens s’impose, de manière époustouflante, aussi bien en père de famille tendre, aimant, parfois irrité par les choix de ses filles qu’en chauffeur de camion à la virilité plus revendiqué. Il est génial. Rien que pour lui, le film mérite un sérieux détour.
De Katell Quillévéré, avec Sara Forestier, Adèle Haenel et François Damiens.
2013 – France – 1h34
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Il s’agit d’abord et avant tout d’une légende norvégienne, très populaire dans toute la Scandinavie mais très peu connue ici.
Quête d’étoile
Un soir de Noël, la jeune princesse Boucle d’Ange demande si elle peut accrocher l’Etoile du Nord au sommet de son sapin. Sa mère lui explique que non et lui offre un cœur d’or pour qu’elle s’en souvienne. Mais, son oncle, malveillant personnage qui compte bien évincer Boucle d’Ange du trône, envoie la petite chercher la fameuse étoile.
A peine arrivée dans la forêt, l’enfant rencontre une sorcière qui la fait disparaître. L’Etoile du Nord non plus, n’apparaît plus. La fillette reste introuvable pendant dix ans jusqu’à ce qu’une âme pure, Sonia, aille réveiller l’Etoile. L’aventure ne fait alors que commencer…
La légende est très belle et le film mise avec raison sur la quête de la jeune Sonia et les embûches qu’elle doit éviter pour retrouver le destin qui était le sien. Rocambolesque, pleine de belles rencontres, l’aventure est bien menée et vraiment spectaculaire. L’introduction et la fin du film, raconté par une sorte de diaporama vieillot, sont beaucoup moins réussies. C’est dommage car l’ensemble du film, ses personnages et sa légende méritent qu’on la découvre ici.
De Nils Gaup, avec Vilde Zeiner, Anders Raasmo Christiansen, Stig Werner Moe….
Qu’est-il arrivé au réalisateur inspiré de « Avanim » ou de « I am Josh Polonski’s brother » ? Lui aussi a perdu la foi et l’inspiration. Il donne même l’impression de ne plus y croire lui-même.
Middle age crisis
Le film raconte l’histoire de Saul, la quarantaine, un informaticien reconverti en infirmier de nuit, qui décide sur un coup de tête de retourner voir son père qu’il ignore depuis 5 ans. Le vieil homme ne l’attend pas et n’est surtout pas prêt à céder à tous ses caprices. Lui aimerait bien revoir sa petite fille que Saul a abandonné avec sa mère quelques années auparavant. En accusant son père d’être responsable de ses propres échecs, Saul va finir par se reconstruire…
Non seulement, Saul ne génère aucune empathie, mais ceux qui l’entourent sont, eux aussi, trop marginaux pour qu’on s’y attache, à part le père qui semble très épanoui dans sa nouvelle vie. Comme il ne se passe à peu près rien dans ce film, qu’aucune scène forte ne s’en dégage (à part peut-être celle de l’inauguration des statuts dans le centre commercial), il est très difficile de s’intéresser à l’histoire de cet homme en crise, perdu, qui ne supporte rien et fait payer aux autres son mal-être.
Détaché
Du coup, sa quête reste très extérieure et on finit par se ficher complètement qu’il se sorte ou non de cette déprime persistante, de son incapacité à vivre avec d’autres. Et la mise en scène, froide, presque clinique, aide encore moins à ce qu’on s’y essaie. On passe donc, sans bien comprendre ce qui a pu sélectionner ce film à la Quinzaine de réalisateurs de Cannes 2013.
De Raphaël Nadjari, avec Ori Pfeiffer, Moni Moshnov, Michaela Eshet…
2013 – Israël -1h40
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Vous connaissez forcément Guillaume Galienne, cet acteur au physique suranné et étrange (grosse tête, cheveux frisés), croisé à la télévision, dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, dans Astérix et Obélix : au service de sa majesté, sur les planches de la Comédie Française et à la voix reconnaissable entre 1000. Son phrasé, précieux, son intonation féminine, sont devenues une patte qu’il utilise à l’envi en lisant des extraits de livres (de classiques surtout) sur France Inter.
Une voix de femme
Parlons-en justement de sa tonalité aigüe et apprêtée. Car, c’est justement le sujet de son premier film en tant que réalisateur.
Troisième garçon d’une famille de la grande bourgeoise de l’Ouest parisien, Guillaume a toujours eu un statut particulier au sein de sa fratrie : sous la coupe de sa mère, une forte tête autoritaire, désabusée et pas très tendre, qui a décrété depuis toujours que Guillaume était une fille. Et lui a grandi ainsi, en jouant à porter des robes à la Sissi, en se frottant de manière rugueuse aux passions masculines, bref en ne trouvant jamais sa place, ni au pensionnat, ni dans une équipe de natation ou de rugby. Guillaume est peureux, couvé, à part, moqué, insulté même parfois, incompris par tous… sauf pas Maman. Et pourtant rien n’est évidemment aussi simple…
Théâtral
Adapté de sa pièce de théâtre au titre éponyme, le film aurait justement mérité qu’il s’en détache puisque les allers retours avec la scène n’apporte pas grand-chose (sauf à la toute fin du film) et ont tendance à couper plus qu’à structurer un récit qui évolue par saynètes mais aurait mérité d’être un film intégral.
A part cela, le film est passionnant et bourré d’excellentes idées, parfois empruntées à la pièce. Comme le fait que Guillaume Gallienne joue à la fois son rôle et celui de sa mère.
Responsables, pas coupables
Outre la question de l’identité sexuelle abordée dans de nombreux films depuis plus d’une vingtaine d’années, cette comédie au comique enlevé (mais est-ce une comédie au fond ?) pose des questionnements encore plus profonds et peu traités jusqu’alors. : la responsabilité des parents, père et mère, dans la construction identitaire d’un enfant, le rôle de la peur dans la construction d’une personnalité… des problématiques majeures même en dehors de l’aspect sexuel (même si celui-ci reste fondamental).
De et avec Guillaume Gallienne, André Marcon, Françoise Fabian, Diane Kruger, Reda Katheb…
2013 – France – 1h25
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Madem, 17 ans, est en vacances avec son père, son jeune frère, ses cousins et cousines dans la maison familiale de l’ïle de Ré. Elle est adolescente, très mystérieuse et son père, sans être vraiment maladroit, n’arrive plus à communiquer avec elle. Repliée sur elle-même, elle passe son temps à scruter la boîte à lettres.
Grandir
Madem a un secret qu’elle partage parfois avec son jeune cousin Vadim : elle entretient une correspondance intime avec un prisonnier qui a le double de son âge et qui est justement détenu à St Martin de Ré. Autant les paroles de son père ne lui seront d’aucun recours, autant la vitalité de la cette fratrie sera un soutien bienvenu.
Pour son premier film, la réalisatrice Shalimar Preuss opte pour une sorte de huis-clos familial, assez silencieux mais parvient à filmer aussi bien l’ennui, la pesanteur des vacances, la difficulté de communiquer avec des adolescents que la joie de se retrouver entre cousins et l’énergie qui en ressort. Ses choix de mise en scène (en caméra portée et subjective) qui la pousse à filmer souvent ses personnages de dos sont contestables mais elle possède a un véritable don pour montrer la nature et la mer, écrasées par le soleil de l’été. Prometteur.
Avec Lou Aziosmanoff, jocelyn Lagarrigue, Nine Aziosmanoff, Manon Aziosmanoff
Jiale, dix ans, est un garçon turbulent, pas très bien aimé et du coup plutôt mal élevé. Sa mère enceinte décide, pour soulager son quotidien, d’engager une nounou philippine pour s’occuper de son foyer et surtout de son fils. Celui-ci l’accueille très mal mais finit par s’y attacher. On est en 1997, à Singapour, qui vit alors une des pires crises économiques de son histoire récente…
La crise et Singapour
Comment les enfants font-ils les frais des décisions de leurs parents ? Voilà le sujet de ce premier film très touchant qui a reçu lors du dernier Festival de Cannes, la Caméra d’or, le premier grand prix international récompensant un film de Singapour, et qui représentera son pays dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger.
On y découvre un pays en voie vers une démocratie où la discipline laisse peu de place aux libertés individuelles, où le respect des plus faibles ne va pas de soi, où l’argent et la réussite sociale sont les seules valeurs d’une classe moyenne ambitieuse, laborieuse mais peu considérée…
Quête d’amour
En filmant souvent à hauteur de Jiale, le réalisateur Anthony Chen parvient très justement à décrire à la douleur et donc l’agitation de cet enfant auquel personne ne s’intéresse vraiment et qui finit par trouver un peu d’affection auprès de sa nounou, mais ni auprès de sa mère autoritaire et débordée, ni de son père lâche et démissionnaire.
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