Les tops 5 de Geneviève Albert

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En un seul film,  la réalisatrice québécoise Geneviève Albert s’est fait une place dans le paysage cinématographique français. Bardé de prix et de sélection en festival, Noémie dit oui sort enfin sur les écrans français le 26 avril 2023.

Les choix de Geneviève Albert

Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou.te.s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqué.e.s. C’est au tour de Geneviève Albert de nous confier ses listes.

Depuis le Festival du Film Francophone d’Angoulême où il a été récompensé de deux prix, celui du jury étudiant, et une mention à sa formidable actrice principale, Kelly Depeault, Noémie dit oui a fait le tour de France des festivals et des avant-premières. Et sa carrière se poursuit encore en Europe, en Argentine et même aux Etats-Unis, après une belle sortie au Québec en avril 2022. Son sujet n’est pourtant pas facile puisqu’il dénonce la prostitution juvénile. A travers le parcours d’une adolescente de 15 ans manipulée par un tout jeune proxénète qui enchaîne les clients durant les trois jours du Grand Prix de F1 de Montréal.

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La réalisatrice Geneviève Albert

Geneviève Albert dit avoir découvert le cinéma avec Au revoir les enfants de Louis Malle qu’elle a vu plusieurs fois à la TV au Québec. Dans son milieu familial privilégié –  une mère microbiologiste et son père éditeur -, le cinéma français a toujours été plus apprécié que le cinéma américain. « Je tiens aussi de mon père sa capacité à m’indigner contre les injustices », précise-t-elle.

A 19 ans, quand elle devient étudiante à Montréal, elle veut d’abord être comédienne, puis documentariste humanitaire. Elle choisit d’étudier la coopération internationale, puis la psychologie avant de se tourner vers le cinéma, en suivant des cours facultatifs à l’Université de Montréal, puis en obtenant un diplôme beaucoup plus pratique à l’UQAM.

Elle commence à travailler « au son », en étant perchiste pour des pubs ou des fictions. Ce qu’elle veut pourtant, c’est être réalisatrice. « J’ai donc arrêté le son du jour au lendemain pour tourner mon premier court-métrage », explique-t-elle. Il a suffisamment de succès en festival pour qu’elle remporte une bourse du Conseil des Arts et Lettres du Canada, pour le deuxième.

Camerawoman à Hollywood

Mais, d’autres étoiles attirent Geneviève Albert. Celle du Cirque du Soleil. Elle devient danseuse-camerawoman pour un spectacle sur le cinéma, mis en scène par Philippe Decouflé qui se jouera deux ans à Hollywood.

A son retour à Montréal, Geneviève ressent une urgence à réaliser Erotisse, son troisième court sur sa relation avec son chum de l’époque, écrit en deux jours et tourné en un. Lui aussi a du succès et la conforte dans l’idée de développer des projets très personnels. C’est pourtant un film hommage au réalisateur Gilles Carle diffusé lors des Rendez-vous du cinéma québécois qui va favoriser son passage au long métrage. Ce 3 mn est remarqué par une productrice qui lui propose de travailler avec elle. « Quand j’ai commencé à écrire Noémie dit oui, je l’ai recontactée pour lui faire lire le synopsis. Elle m’a répondu : on y va ! ».

Le fléau de la prostitution juvénile

Pourquoi Geneviève Albert s’intéresse-t-elle à la prostitution ? « Le sujet s’est imposé à moi », avoue-t-elle. Elle décide de passer deux mois d’observation dans un centre de jeunesse et découvre que les jeunes filles fuguent pour aller se prostituer, notamment durant le Grand Prix de F1 de Montréal. « Les éducateurs avaient beau les sensibiliser, il était impossible de les retenir», ajoute-t-elle.

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Kelly Depeault (Noémie) et James-Edward Métayer (Zach) en préparation du Grand Prix

Noémie dit oui est largement inspirée de l’une des 12 jeunes filles que Geneviève Albert a vue vivre dans ce centre. Elle en a repris l’énergie, la personnalité pleine de vie mais aussi de failles, affectives notamment. La réalisatrice étoffe son scénario en rencontrant des prostituées adolescentes, de jeunes proxénètes pour comprendre comment les filles en arrivent à vendre leurs corps pour eux. Elle apprend aussi que lors d’un grand événement sportif, comme l’est un Grand Prix de F1, la prostitution est multipliée par 5 !

« Tous les morceaux du scénario se sont progressivement mis en place, raconte la cinéaste. En revanche, je n’ai jamais obtenu les autorisations de tourner durant le Grand Prix. Qu’importe… j’ai réussi à voler les images que je voulais, celle du circuit à l’aube ». Il y a peu de risque que les instances du Grand Prix la poursuivent tant son film met le doigt sur un sujet dont elles savent très bien l’importance, l’illégalité et leur totale incompétence à le juguler.

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Kelly Depeault (Noémie), enfermée dans sa chambre et reliée à son téléphone qui lui envoie clients sur client

«La prostitution juvénile est un véritable fléau dont on mesure difficilement l’ampleur. L’âge d’entrée moyen est de 15 ans au Québec, ce qui veut dire que des filles commencent à vendre leur corps à 11 ans !  Concernant les proxénètes, il y a bien sûr ceux qui appartiennent au crime organisé et aux trafics humains, mais aussi ceux que je décris : des délinquants qui cherchent à se faire du fric», décrit-elle. L’un d’eux lui a expliqué qu’il était moins dangereux pour lui de « pimper » des filles que de vendre de la drogue, et qu’en plus, la matière première était gratuite et renouvelable.

Les femmes ne sont pas à vendre

Impossible pour la fille tomber dans les griffes d’un lover boy, comme le Zach du film, de s’en échapper. « La fille a beau refuser de se prostituer, il va continuer à la travailler de toutes sortes de façons pour qu’elle finisse par céder», explique Geneviève Albert. D’où le titre du film… « Et encore je ne suis pas allée aussi loin que la réalité ».

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Geneviève Albert et son distributeur à l’avant-première parisienne de Noémie dit oui, le 1à avril 2023.

Elle a tenu, en revanche, à montrer avec force détails ce que signifie enchaîner des clients à la chaîne, tout en devant se tenir prête et propre pour les suivants. « Rapidement, j’ai su que j’allais filmer l’abattage sexuel car la violence intrinsèque de la prostitution passe par le nombre de clients et la répétition. Je ne voulais pas faire un film intellectuel, mais viscéral, qui montre, avec les corps, que c’est réellement insoutenable ».

Pour le filmer, Geneviève Albert choisit de pointer sa caméra vers les clients, sans qu’elle soit subjective, et de ne jamais les mettre avec Noémie dans le même cadre. « Entre eux, il n’y a pas de relation, mais un exercice de pouvoir et de domination », précise-t-elle. Ce que confirment aussi les scènes intermédiaires où, pleine de servitude, elle doit refaire le lit, jeter les préservatifs etc. et que décrivait très bien le livre Putain de Nelly Arcan, une autre de ses inspirations. « Ca me semblait plus incarné, donc encore plus violent, conclut-elle.

Le film a -t-il provoqué un débat au Québec ? « Je sais qu’il a été vu aux deux échelons parlementaires chez nous, provincial et fédéral, et que je suis invitée par le gouvernement canadien pour tenter avec d’autres de faire bouger les choses. Pour l’instant, malgré les messages de sensibilisation qui affirment que les femmes ne sont pas à vendre, rien ne change de manière significative », avoue-t-elle.

Un avenir prometteur

En attendant que le problème de la prostitution soit pris à bras le corps, Geneviève Albert continue à écrire sur des sujets dérangeants : une comédie dramatique sur sa vie sentimentale et sa relation avec son père et un projet plus avancé sur la stérilisation forcée des femmes des Premières Nations, la dernière ayant eu lieu au Québec en 2019… en attendant de réaliser une co-production avec la France, puisqu’elle a réussi le plus difficile : que son premier film soit bien accueilli ici.

Voilà pourquoi il semblait important de connaître ses références concernant le travail des femmes au cinéma, en lui demandant ses tops 5. Geneviève Albert a trouvé l’exercice difficile  – « il y en a tellement » – tout en s’imposant de citer au moins une réalisatrice et une actrice québécoises. Voilà ses choix.

 

Mes cinq films de réalisatrices préférés

1 -India Song de Marguerite Duras (1975)

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Michael Lonsdale (le vice consul de Lahore) et Delphine Seyrig (Anne-Marie Stretter)

D’abord, il y a eu le choc de son écriture avec L’amant. Puis il y a eu le choc cinématographique de ce film inclassable. L’atmosphère lancinante. La temporalité énigmatique. La robe en velours rouge de Seyrig. Le cri de Lonsdale. Et la sublime musique de Carlos d’Alessio qui est l’une des rares que je puisse écouter en écrivant.

2 – Jeanne Dielman de Chantal Akerman (1975)

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Delphine Seyrig est Jeanne Dielman

J’ai un souvenir très vif de la première fois où j’ai vu Jeanne Dielman au cinéma. La répétition aliénante des gestes du quotidien d’une femme au foyer. L’audace d’Akerman de filmer ces gestes et de les styliser. Le ton monotone de Delphine Seyrig. L’expérience transcendante de la durée des plans. Et cette finale inoubliable. Majeur.

3 – Wanda de Barbara Loden (1970)

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Barbara Loden (Wanda) et Michael Higgins (Mr Dennis)

Barbara Loden est la réalisatrice d’un seul film, et quel film! La présence fantomatique de Wanda, son immense solitude évoquée par ses déambulations filmées à distance, la trajectoire surprenante qu’elle emprunte en rencontrant un bandit. Portrait bouleversant d’une femme tenue en marge de la société.

4 – Tomboy de Céline Sciamma (2011)

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Malonn Lévana (Jeanne) & Zoé Héran (Laure/Michaël)

Céline Sciamma est selon moi l’une des plus grandes metteuses en scène du cinéma actuel. J’aime tous ces films, mais j’ai un penchant pour celui-ci. Scénario épuré et poignant, mise en scène d’une grande délicatesse, regard tendre posé sur cette jeune fille qui voudrait être un garçon.

5 – Mourir à tue-tête d’Anne-Claire Poirier (1979)

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Julie Vincent (Suzanne)

Anne-Claire Poirier est l’une des grandes cinéastes du Québec. Ce film déchirant met en scène une réalisatrice et une monteuse qui font un film sur un viol et qui se questionnent sur comment filmer ledit viol pour que sa représentation ne reconduise pas la violence, pour que la mise-en-scène nous plonge dans l’expérience de la victime. Ce film a été une inspiration importante pour mon premier long métrage Noémie dit oui.

 

Cinq prestations d’actrices inoubliables

1 – Gena Rowland dans Une femme sous influence de John Cassavetes (1974)

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Peter Falk (Nick Longhetti) et Gena Rowland (Mabel Longhetti)

C’est la première performance d’actrice qui m’est venu en tête. Elle porte ce film sur ses épaules, avec une intensité colossale et une présence qui a des kilomètres de profondeur. Bouleversante.

2 – Shelley Duval dans Shining de Stanley Kubrick (1980)

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Shelley Duval (Wendy Torrance)

On sait combien Kubrick a fait souffrir l’actrice avec ses innombrables prises… Mais quelle performance! Casting parfait pour elle. Et interprétation sublime, hantée, incarnée.

3 – Dana Ivgy dans Mon trésor de Keren Yedaya (2004)

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Dana Ivgy (Or) et Ronit Elkabetz (Ruthie)

Dans ce film magistral, la jeune Dana Ivgy joue aux côtés de la grande Ronit Elkabetz. Ce duo mère-fille est époustouflant. Dana Ivgy est très émouvante, déchirante de justesse.

4- Anne Dorval dans Mommy de Xavier Dolan (2014)

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Anne Dorval, la Mommy de Xavier Dolan

Cette immense actrice québécoise est éblouissante dans ce rôle. Son jeu qui oscille entre le tragique et le comique relève du génie. Sa tirade autour de la tarte aux pommes est inoubliable.

5 – Laure Calamy dans À temps plein d’Éric Gravel (2021)

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Laure Calamy (Julie)

Le film d’Éric Gravel a été un de mes coups de cœur l’année dernière. Et l’actrice y est pour quelque chose! Elle incarne avec une justesse inouïe cette femme à bout de souffle. Remarquable.

©Dariane Sanche /Mathilde Marc/ Warner Bros. / Pyramide Distribution/Shayne Laverdiere/ Haut et Court
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