Alpha
Avec Alpha, son 3e long métrage, Julia Ducournau confirme son obsession de la mutation des corps ou de la difficile émancipation de l’autorité parentale. Elle s’affirme surtout comme une réalisatrice aux idées de mise en scène époustouflantes.
Gisants et pandémie
Alpha est une jeune ado rebelle. Elle fait paniquer sa mère médecin lorsqu’elle revient d’une soirée sans savoir comment elle s’est faite tatouer un A sur le bras. Quelle aiguille ? Propre, sale ? Qui d’autre l’a utilisée ? Elle n’en sait rien, Alpha, elle était à moitié inconsciente.

Il faut que dire que son oncle Amin que sa mère adore et protège sans limites a souffert d’une contamination à un virus étrange, transmis par la seringue qu’il utilisait pour se droguer. Est-ce le sida ? Sans doute, mais aussi le Covid ou toute épidémie qui sème un vent de panique sur la société et dans les hôpitaux où Maman travaille.
Fantômes
Alors qu’elle a lutté de tout son être et son savoir pour sauver son frère adoré, Maman, mère inquiète et seule responsable d’Alpha, va tenter de protéger sa fille. Mais, sa quête est vaine. L’adolescente n’aura de cesse de se détacher, de s’émanciper et y parviendra, étrangement, grâce à Amin qui n’est pourtant que l’ombre de lui même.

Le cinéma de Julia Ducournau, Palme d’or avec Titane, est un cinéma de mise en scène et d’esthétique forte. La cinéaste a le don pour créer des ambiances fortes : les scènes dramatiques de vent, celle, spectaculaire, de la piscine ou encore les malades qui se transforment en pierre, en gisants de marbre. Rien que pour cela, le film vaut le détour.
De sang et de pierre
Il le vaut aussi pour le corps décharné de Tahar Rahim (qui a perdu 20 kg pour le rôle), pour le dévouement de Maman, interprétée avec abnégation par Golshifteh Farahani, pour leur relation frère/soeur d’une puissance infinie, ou pour l’entêtante volonté d’autonomie jouée avec détermination par la jeune Mélissa Boros.

Revenons un instant sur les gisants, ces incroyables humains qui deviennent de marbre quand l’épidémie les condamne. Non seulement l’idée est puissante et la réalisation stupéfiante de beauté et d’effets, mais elle a un sens psychanalytique qui devient le sujet même du film. Un gisant décrit, selon Julia Ducournau, « décrit la personne ou la frange de la société touchée par une mort brutale, mort qu’on a essayé de rendre taboue, qu’on a refusée de regarder en face ou dont on n’a pas su mesurer l’impact sur les plus jeunes ». Le terme est emprunté aux statues de Saints ou de Rois allongés dans les cathédrales et dans les églises » explique-t-elle dans le dossier de presse. C’est en tout cas le rôle d’Amin dans ce qu’il transmet à Alpha, sans que Maman, affectée par le décès de l’un et par la nécessaire survie de l’autre, ne parvienne à briser la chaîne.

Soyons honnête, le scénario n’est pas d’une clarté absolue, les pistes de compréhension étant à la première vision nombreuses. Mais l’ambiance créée et l’esthétique puissante du film devraient suffire à contenter les moins curieux. Pour les autres (comme moi), un temps de réflexion et une deuxième vision seront nécessaires.
Alpha de Julia Ducournau, avec Golshifteh Farahani, Tahar Rahim, Melissa Boros, Finnegan Oldfield…
2025 – France – 2h08
Alpha de Julia Ducournau était en compétition officielle au Festival de Cannes 2025 dont il est reparti sans prix.