Le 2 novembre, le lendemain de la Toussaint, est le jour des morts. Au Mexique, ce passage de morts du monde réel à celui des esprits est l’objet de nombreuses légendes, dont celle de Manolo.
Le jour des morts
Fils d’une longue et brave lignée de toreros, Manolo préfèrerait être chanteur, guitariste. Ce que son père refuse. Il a pour meilleur ami, Joaquim, un vaillant garçon toujours prêt au combat et tous les deux sont très amoureux de la jolie Maria.
Un jour des morts, alors que chaque famille se recueille au cimetière, la Mort et le Mauvais Esprit engagent un pari sur celui qui parviendra à épouser Maria, quitte à jouer avec le destin….
Des squelettes magnifiques
Un film joyeux sur la mort, voilà une des plus belles surprises à découvrir aux prochaines vacances de la Toussaint. Rien n’est sordide ici, même si la plupart des héros sont des squelettes !
Car, en plus de l’histoire enlevée qui lie Maria, Manolo, Joaquim et tout leur village, les bonnes fées de l’animation ont eu l’idée de se pencher sur la création graphique du film. Passons sur la partie américaine introductive du sujet, terre à terre et sans intérêt, pour se laisser enthousiasmer par la découverte du monde des morts et des esprits, tous savamment dessinés et haut en couleur. Magnifique !
De Jorge R. Gitteriez, avec les voix françaises de Banjamin Pascal, Volodia Serre, Ingrid Donnadieu, Lucien Jean-Baptiste…
Of men and war de Laurent Bécue-Renard raconte les dégâts humains de l’après-guerre. Ceux portés par les hommes qui en sont revenus et sur leur famille. Indispensable.
Comment aborder les sujets les plus durs, et notamment le deuil dans les films animés pour enfants ? Certainement pas à la manière de Esben Toft Jacobsen, le réalisateur de L’Ours Montagne, qui se risque ici sur une pente dangereuse.
Retrouver sa mère morte
Johan est un jeune lapin qui vit avec son père sur un bateau, au milieu de l’océan, depuis que le Roi Plumes a emporté sa maman. Alors qu’il est seul à bord, Johan capte un mystérieux message et décide de partir retrouver sa mère.
Jusqu’ici, tout va bien, mais une fois qu’il arrive au royaume du Roi Plumes, le récit se gâte. Non seulement Johan finit par retrouver sa mère et par se serrer dans ses bras, mais l’histoire laisse entendre qu’il pourra continuer à converser avec elle, une fois revenu parmi les vivants.
Mensonges
Le sujet est trop grave pour être traité ainsi, à la légère. Les psychologues nous ont appris à ne jamais mentir aux enfants. Prétendre qu’ils peuvent, en se jetant à la mer (sans même savoir nager !), repartir embrasser des êtres aimés disparus, semble complètement irresponsable et peut-être même traumatique.
Pour ceux que cela ne rebuterait pas, le graphisme est agréable sans être extraordinaire et les voix des personnages agaçantes.
Comment un film contemplatif japonais du XXième siècle peut-il avoir une telle résonance avec un poème français du XVIIe siècle de Pierre de Marbeuf (cf.ci-dessous)?
De mer et de mère
Naomi Kawase signe ici, dans un style pur et avec des images magnifiques, une véritable ode à l’amour et à la mer, à l’amer de l’amour, en mettant en scène une adolescente qui perd sa mère au moment où elle devient une femme et découvre la vie.
Still the water, comme son titre l’indique, parle de mer. Le film débute sur une plage où a échoué un cadavre, un homme au dos tatoué. A cause de lui, la plage est interdite le temps de l’enquête. Ce dont Kyoko se fout éperdument, elle qui a pris l’habitude de nager toute habillée en rentrant de l’école.
L’âge des possibles
Qui est donc cet homme? On l’apprendra incidemment, et finalement, cela n’a pas grand importance, le film ne maniant absolument pas le suspens. Non, ce qui passionne Kawase, c’est justement comment cet événement, comme d’autres bien plus nombreux et encore plus signifiants, vont pousser Kyoko et son jeune amoureux Kaito à devenir adultes.
Et comme tous deux ont une lourde histoire – la mère de Kyoko est gravement malade et sa fille va l’accompagner jusqu’à son dernier souffle, les parents de Kaito sont divorcés et il a besoin de se confronter à son père, qui vit à Tokyo, pour mieux comprendre la vie de sa mère -, Naomi Kawase va prendre le temps de filmer (à la perfection) leurs errances, leurs efforts pour se comprendre, les obstacles qu’ils devront dépasser pour enfin accepter de s’aimer.
Contemplatif
Navigant entre tradition millénaire et post-modernisme tokyoïte, la réalisatrice se complet dans une certaine contemplation un peu barbante avouons-le, malgré la rupture de rythme apportée par le segment filmé à Tokyo. La longue agonie de la mère est, elle, interminable, et cela, bien qu’on saisisse, à ce moment-là, toute l’ambition du cinéma de Kawase : celle de traiter de la mort, de la vie, de la mer et de la mère, et de l’amour aussi.
En revanche, la beauté des images et des acteurs, beauté qui n’est pas qu’esthétique mais dépasse largement le simple aspect physique, est à couper le souffle. Le contempler aujourd’hui à la lecture du poème de Marbeuf reste un délice voluptueux. Une expérience poétique de toute beauté.
De Naomi Kawase, avec Jun Yoshinaga, Nijiro Murakami, Tetta Sugimoto…
2014 – Japon – 1h58
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage, Et la mer est amère, et l’amour est amer, L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer, Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage, Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer, Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer, Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau, Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau, Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux, Ton amour qui me brûle est si fort douloureux, Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Bao est en CM2 à Taïpei (Taïwan) et ses résultats scolaires laissent à désirer. Il faut dire que ses parents très occupés par leur travail envisagent de divorcer, que sa petite sœur Algue l’insupporte. Enfant taiseux, renfermé sur lui-même, il ne s’intéresse qu’aux jeux vidéo.
Purification
On l’envoie chez son grand-père veuf à la campagne pour l’été. Le premier contact est rude, les règles de vie trop strictes.
Il s’y résout et commence même à s’y plaire quand il intègre l’école du village où il est accueilli chaleureusement et quand il se lie d’amitié avec Mingchuan. Un bonheur de courte durée, car si la vie est plus douce à Quchi quà Taïpei, elle va aussi avec son lot de drames, de deuils.
Entre tradition et modernité
Film initiatique qui oppose la culture traditionnelle à la frénétique vie moderne des villes, « Un été à Quchi » est une chronique à la fois délicate et très dure de la vie d’un enfant asiatique aujourd’hui.
Délaissés par leur famille proche, obnubilée par la performance économique, les jeunes chinois, taïwanais ou coréens ont grandi loin de leurs racines et des valeurs ancestrales, dans un confort acquis mais qui ne suffit pas à leur épanouissement. Une génération sacrifiée qui va nourrir pendant plusieurs décennies l’inspiration des cinéastes de leur pays. A suivre donc…
De Tso-Chi Chang avec yang liang-yu, Kuan Yun-lung, Yen Yun-heng…
Umber Singh, le père d’une famille bourgeoise indienne et sikh, a déjà trois filles. Sa femme est à nouveau enceinte et il est impensable qu’elle mette au monde une autre fillette.
Garçon d’honneur
Umber veut un fils pour restaurer l’honneur qu’il a déjà perdu en abandonnant sa maison et en fuyant son village, lors de la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947. L’enfant nait fille, mais Umber décide de cacher son sexe à tous et de l’élever comme un garçon. Il parvient même à le marier. Mais à quel prix ?
Ce film dur, teinté d’exil, de mort et de malheurs, traite simplement de sujets très forts : le poids des traditions, notamment celle de l’honneur, l’identité sexuelle, l’autorité toute puissante du père et le traumatisme de la partition de l’Inde en 1947, souvent abordée dans le cinéma d’auteur indien.
Déni d’identité
Mais, les spectateurs enfants et adolescents seront sans doute surtout intéressés ou troublés par le fait d’avoir été élevé dans le déni de son sexe de naissance. Cette histoire, inspirée par des coutumes locales et l’expérience du réalisateur Anup Singh, est très maitrisée dans sa première partie plus narrative. Elle est moins compréhensible à la fin, quand les fantômes reviennent hanter les jeunes mariés en proie au doute et au choix de leur destinée, de toute façon malheureuse.
D’Anup Singh, avec Irrfan Khan, Tisca Chopra, Tillotama Shome…
Sur le papier, le film ne s’adresse pas aux enfants. Il a pourtant reçu le prix du jury jeune au Festival de Locarno. Et son ton est si frais, son histoire si tristement joyeuse qu’il peut incontestablement répondre à certaines angoisses ou questions qu’ils se posent inévitablement.
Déjouer la mort…
Claudia, 22 ans, vit seule à dans une grande ville mexicaine en tant que démonstratrice dans un supermarché. Victime d’une appendicite, elle se retrouve à l’hôpital, aux côtés de Martha.
Martha a 46 ans, quatre enfants à charge, une maladie grave et incurable mais une joie de vivre à toutes épreuves. Martha invite bientôt Carla à rejoindre sa folle maisonnée… et petit à petit, dans le chaos ambiant, Claudia va réussir à y trouver sa place.
…par la joie de vivre
Le film pourrait être le récit très triste d’une maman qui se sait condamnée et qui laisse derrière elle une tribu qui n’a pas fini de grandir. En fait, c’est une véritable ode à l’entraide, à la joie de vivre, à la révélation des talents et forces de chacun, le tout raconté avec un charme enjoué et inaltérable, sous la caméra délicate d’une jeune réalisatrice mexicaine. Claudia Sainte-Luce signe ici son premier film, multi-récompensé, inspiré de sa rencontre avec la vraie Martha.
Un feel-good movie qui aborde les problèmes les plus graves sans les enjoliver et selon le précepte suivant :« ce qui ne tue pas rend plus fort ». Une superbe leçon de vie.
De Claudia Sainte-Luce, avec Ximena, Ayala, Lisa Owen, Sonia Franco…
25 ans, 4 longs métrages et un cinquième, « Mommy » annoncé en compétition officielle du Festival de Cannes 2014. Xavier Dolan est pressé et doué. Et Xavier Dolan est centré sur l’intime disfonctionnel, sur l’incapacité d’une famille à respecter l’individualité de chacun, à tolérer chaque personnalité, à ne pas rejeter les marginalités.
L’intrus
« Tom à la ferme », comme ses trois films précédents est un film fort, puissant, un brûlot contre l’homophobie de la province, de la campagne. L’homophobie des champs.
Adapté d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, le film reprend la trame de l’histoire de Tom. Jeune publicitaire de Montréal, branché, urbain, il débarque comme un cheveu décoloré sur la soupe dans une ferme éloignée de tout. Il y vient pour les funérailles de son amoureux et comprend très vite, que sans être malvenu, il n’y a pas sa place. Personne ne le connaît, personne n’a jamais entendu parlé de lui, personne ne veut surtout savoir qui il est, ni ce qu’il représentait pour le défunt.
Se mentir
Et pourtant, il reste. Subjuqué par cette famille apparemment soudée, fasciné par les travaux de la ferme qui semblent lui redonner une virilité timide, tenu sous la coupe de Francis, le frère aîné du mort qui, on le saura plus tard, est cantonné à son rôle de fils de la ferme sans aucune échappatoire possible.
Dans ce huis-clos pesant, rendu encore plus étouffant par les quelques lignes de fuites qui s’offrent à Tom et qu’il ne saisit jamais, Xavier Dolan signe un réquisitoire efficace et puissant contre les secrets de famille, contre le mensonge, contre les apparences, contre l’homophobie, contre l’intolérance… Avec pour l’objectif de montrer, comme l’écrit si bien Michel Marc Bouchard, « avant même d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir ». A se mentir aussi.
BO au top
La réalisation qui joue sur un étouffement progressif reprend avec intelligence les codes du thriller, misant autant sur la terreur psychologique que sur la violence physique , le tout étant emporté par une mise en musique éblouissante. Ce qui n’a rien d’étonnant tant c’est une des marques de fabrique du talent de Xavier Dolan. Sauf que cette fois-ci, c’est Gabriel Yared qui officie. Brillant.
Avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Elise Roy, Evelyne Brochu…
Mariana Rondon, artiste plasticienne et cinéaste, est à ce jour la plus grande représentante du cinéma du Venezuela actuellement en pleine ébullition, la seule de réputation internationale (cf. interview d’Erick Gonzalez, le programmateur des Rencontres ciné-latino de Toulouse).
Cheveux rebelles
« Pelo Malo », littéralement « mauvais cheveux », expression locale pour désigner les cheveux frisotés, mal vus, est son troisième long métrage. Il a fait le tour des festivals internationaux jusqu’à récolter la Concha d’or à Saint Sébastien en septembre 2013.
Pelo Malo désigne donc les cheveux de Junior, un adorable garçonnet de 9 ans, qui vient de perdre son père. Il vit donc avec son petit frère, un bébé, et sa mère qui cherche à récupérer son travail dans la sécurité.
L’homme de la famille
Mais, au Venezuela, la situation économique est complexe, et les rapports familiaux aussi. Surtout quand on habite, comme Junior et sa mère, dans une cité délabrée, assez loin du centre-ville.
Junior veut des cheveux raides. Sa mère refuse qu’il soit si apprêté, toujours en train de se regarder et de se coiffer. Maintenant que le père est mort, elle pense que c’est à Junior de devenir l’homme de la famille. Et elle sera capable de tout, même de ne plus aimer son fils pour qu’il obtempère.
Manques
Pelo Malo est un film dur, sans concession, qui décrit comment un accident de la vie peut avoir pour conséquence immédiate de modifier la construction identitaire d’un être, dans une souffrance réelle et alors, même que celle-ci n’est pas entendue.
Junior a tout pour plaire et notamment les errances et les plaisirs de son jeune âge. Sa mère, malheureuse, le pousse à des responsabilités trop grandes pour lui et à une castration affective qui ne pourra que lui laisser des traces. Et pourtant, elle n’est pas responsable, juste perdue, délaissée, sans argent, trop seule pour avoir la clairvoyance de ne pas rejeter sur son fils, ces manques qui lui sont cruels.
Le Venezuela aujourd’hui
A côtés d’un duo d’acteurs formidable – le jeune Samuel Lange est à la fois charismatique, beau et hyper sensible -, ce film dresse un constat très critique de la vie quotidienne à Caracas, réputée une des villes les plus dangereuses au monde, où les règlements de compte sont légion, la pauvreté galopante et les droits sociaux inexistants. Et cela, sans que jamais cette fiction ne soit un réquisitoire ni politique, ni économique…
De Mariana Rondon, avec Samuel Lange, Samantha Castillo…
Un film fantastique, signé par une femme, voilà un phénomène assez rare. Et quand cette femme est Marina de Van, on sait que l’on peut s’attendre à quelque chose d’intrigant, de dérangeant.
Destruction passive
Neve, 11 ans, vit avec ses parents et son petit frère, un bébé, dans une luxueuse demeure de la campagne irlandaise. L’ambiance familiale est froide et tendue. Une nuit alors que la tempête s’est levée, les murs de la maison, les meubles se mettent à bouger… à tel point que tous sont tués sauf Neve qui en réchappe.
Elle est recueillie par une famille aimante. Mais, rien ne semble effacer ses troubles. Quand Neve se met à pleurer, la vie de ses proches est en danger. Car Neve a un compte très lourd à régler avec la vie…
Malaises
Marina de Van est une réalisatrice douée pour créer des ambiances inconfortables et qui aborde, à sa façon, des sujets délicats, souvent des troubles du comportement, des post-traumas qu’elle confie toujours à des personnages féminins.
« Dans ma peau » parlait de scarification et de mutilations physiques, « Ne te retourne pas » de dédoublement de la personnalité. Cette fois, il faut comprendre (mais on ne le comprend pas vraiment) que Neve est abusée sexuellement par ses parents complices et que c’est cette anormalité affective (ce délit soyons clair, mais ce n’est pas traité comme tel) qui la rend destructrice.
Mauvaises intentions
Il est toujours gênant de devoir de comprendre les intentions d’un auteur non pas dans son film, mais dans les interviews qu’il livre, dans les livres qu’il a lus etc…. C’est le cas ici.
Du coup, on finit par se désintéresser de l’héroïne et des traumas, en se demandant : pour elle ? pourquoi les meubles ? Pourquoi ces morts ? Pourquoi l’Irlande ? Pourquoi quoi !
De Marina de Van, avec Missy Keating, Marcella Plunkett, Padraic Delaney…
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