L’interview d’Edith Semanni

Share

En lançant il y a six ans un festival engagé, Edith Semanni a choisi de combattre les inégalités femme homme grâce au cinéma. En agissant ainsi, elle rend possible l’éducation par l’image.

Edith Semanni prône l’éducation au respect des femmes par l’image

Le Festival international du film au féminin a du sens, beaucoup de sens. Il a pris racine à La Réunion, le deuxième département français en matière de violences faites aux femmes.

Edith Semanni - cine-woman.fr
Edith Semanni, la fondatrice du Festival Internationale du Film au féminin de La Réunion et la lauréate du Prix Alice Guy 2025, Délia Ido

Depuis 3 ans, il se décline sur un territoire voisin, l’Ile Maurice où le patriarcat -aux dires de tous ceux rencontrés lors de cette 3e édition – semble particulièrement bien ancré. Et c’est là que la stratégie d’Edith Semanni est plus que pertinente. En invitant des femmes engagées – cette année Andréa Bescond, la réalisatrice Des Chatouilles et du premier chapitre de la série Nudes ou Deborah Lukumuena, actrice révélée par Divines et à l’affiche de Muganga, celui qui soigne de Marie-Hélène Roux – , elle s’assure de l’appui des institutions culturelles françaises telles l’Institut français ou les lycées français de l’Île. En les impliquant dans des ateliers ou des master-class auprès des élèves, Edith Semanni diffuse auprès des adolescents une parole saine pour tenter de limiter au plus tôt et au maximum ces comportements violents, l’inculture généralisée de l’histoire des femmes et les ressorts structurels de leur invisibilisation. En deux jours près de 500 adolescents filles et garçons ont été alertés sur les comportements vertueux à avoir, sur la nécessaire ouverture d’esprit à entretenir pour parvenir à une société plus paritaire. En imposant ainsi comme un sujet d’études et d’échanges, les garçons apprennent à écouter tandis que les filles gagnent en confiance.
Jusqu’à présent le soft power du cinéma servait surtout à promouvoir une certaine idée de la civilisation ou du progrès. Grâce à Edith Semanni, il sert à sensibiliser voire à éduquer des publics jeunes et moins jeunes aux bénéfices de la parité et du respect des femmes. Rencontre avec une femme précieuse, engagée aux saines ambitions.

D’où vous est venue l’idée de consacrer un festival de cinéma aux femmes à La Réunion ?

Edith Semanni : En 2015, j’ai créé les Trophées des femmes précieuses, en m’inspirant des Femmes en or. A chaque édition, un film sur les femmes a été diffusé. Au fur et à mesure, les projections ont même pris de plus en plus de place.
En 2018, j’ai montré Les femmes du Rwanda, le documentaire de Sonia Rolland, et j’ai organisé des dédicaces du livre Noire n’est pas mon métier avec Firmine Richard et Sonia Rolland, en les invitant à partager leur expérience. Ce livre qui traite à la fois des femmes et du cinéma a du sens, ici à La Réunion.
A force de discussion avec les unes et les autres, j’ai lancé l’idée de créer un festival de cinéma dédié aux femmes, aux réalisatrices en particulier, à La Réunion où je suis revenue habiter il y a 13 ans. Toutes m’ont dit que c’était une bonne idée. C’est ainsi qu’en avril 2019 est née la première édition du Festival International du Film au Féminin (FIFF) de la Réunion.

Quelle en était la ligne éditoriale ?

Edith Semanni : Un véritable engagement envers les femmes et les sujets qui les concernent. En 2019, il a été question de la ménopause avec Blandine Lenoir et son film Aurore, des femmes sans abri avec Brigitte Sy pour Les invisibles de Louis-Julien Petit, co-écrit par – et même adapté d’un livre de – Claire Lajeunie. Etaient aussi invitées Léa Mysius, Nadège Bosson-Diagne pour participer à une table-ronde sur les violences faîtes aux femmes. Un sujet crucial ici.

Pourquoi ?

Edith Semanni : La Réunion est très concernée par les violences intrafamiliales. Même avec peu d’argent mais quelques bons partenaires, il me semblait important d’organiser des rencontres et des projections -dont une gratuite et. en plein air – avec le public, avec les associations concernées et dans les lycées pour sensibiliser au sujet. A chaque fois, j’essaie de trouver des films pertinents, récents et que le public n’aurait pas la chance de voir sinon. Cette année, c’était le cas d’Aux jours qui viennent de Nathalie Najem qui n’avait pas été distribué ici ou de La maison des femmes de Mélisa Godet et du documentaire de France TV Le temps des femmes de Karine Dusfour qui étaient présentés en avant-première. Ou encore du finlandais Maja, une épopée finlandaise de Tiina Lymi.

Vous ne diffusez donc pas que des films de cinéma ?

Edith Semanni : Non, je programme des films, des séries, des documentaires, de l’animation, des courts métrages voire des clips. Toute forme audiovisuelle est éligible, à condition qu’une femme au moins l’ait co-écrit ou co-éralisé.

Comment le festival s’est-il développé depuis 2019 ?

Edith Semanni : A cause du Covid, j’ai dû décaler la deuxième édition à novembre 2021. Depuis, il a lieu en fin d’année (soit fin novembre, soit début décembre) avec toujours un ancrage le 25 novembre pour la journée contre les violences faites aux femmes.
Quand Lio est venue remettre des Trophées des Femmes précieuses, elle m’a ensuite accompagnée pour une campagne de sensibilisation à l’Île Maurice. Elle a participé à une soirée de gala pour récolter des fonds à distribuer aux associations locales. C’est ainsi que j’ai décliné le FIFF à Maurice. Là, le cinéma devenait un vecteur culturel essentiel pour sensibiliser les publics au respect des femmes.

Peut-on dire que vous faites de l’éducation par l’image ?

Edith Semanni : Oui. L’image a une telle influence, un tel poids que je m’en sers pour tenter de faire évoluer les mentalités à Maurice comme à La Réunion. Les retours me prouvent que c’est efficace. Désormais ce sont les enseignants qui m’invitent à organiser des prises de parole et des projections dans leurs écoles, et cela aussi bien à Maurice qu’à La Réunion.

Le festival à Maurice est-il le même qu’à La Réunion ?

Edith Semanni : Non, je ne montre pas forcément les mêmes films sur les deux îles. Ce sont deux territoires différents, avec des populations variées – il y a une forte communauté indienne à Maurice qui adore le cinéma de Bollywood – . L’île Maurice est plus patriarcale, plus prude que La Réunion et le secteur audiovisuel y est encore timide, même si un des deux lycées français propose une filière cinéma.
A l’inverse, l’audiovisuel est très dynamique à La Réunion.

Depuis l’édition 2025, à La Réunion, le FIFF est doté d’un palmarès. Pourquoi et comment l’avez-vous conçu ?

Edith Semanni : Le festival a ouvert deux compétitions de courts métrages. Depuis 2024, un appel à projets de films courts de réalisatrices de la zone Océan Indien est lancé et l’un d’eux reçoit le Prix Alice Guy après un vote en ligne des partenaires et des invités. L’an dernier, Pie dan lo de Kim Yip Tong a été récompensé, cette année, Sous le voile de nos silences de la réalisatrice burkinabé Délia Ido. L’idée étant, avec ce Prix Alice Guy, d’encourager la filière et les talents locaux.
En 2025, grâce à un partenariat avec le Pass Culture, sept jeunes réunionnais ont départagé trois courts métrages venus du monde entier et participé à un atelier encadré par la réalisatrice Sabrina Houaro, l’idée étant de leur montrer autre chose que la production locale et de leur apprendre à décrypter les images.

Quels sont vos projets pour les prochaines éditions ?

Edith Semanni : Je veux poursuivre et développer les deux festivals, à La Réunion et à Maurice, car ils répondent à des vrais besoins et que nous sommes suivis par des partenaires engagés et fidèles. A Maurice, les deux lycées français de l’Île nous accueillent une journée chacun avec un vrai travail de préparation, l’hôtel Shangri-la nous héberge, l’Institut français organise des projections et des prises de parole, et même l’exposition Les femmes s’emparent du cinéma jusqu’en janvier 2026…
A l’avenir, j’aimerais décliner le FIFF aux Seychelles puisqu’on me l’a demandé. Et à Madagascar et/ou à Mayotte quand la situation sur place sera moins compliquée.
A La Réunion, je vais étendre les projections scolaires dans plus d’établissements, notamment dans le Grand Sud qui est plus difficilement accessible. Et j’ai aussi prévu de développer les masterclass à destination des professionnels locaux car elles ont connu un vrai engouement cette année !

Propos recueillis par Véronique Le Bris

(Visité 2 fois, 1 visite(s) aujourd'hui)
Share