L’interview de Julie Gayet

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Actrice, productrice et distributrice, Julie Gayet a aussi co-réalisé avec Mathieu Busson une série de documentaires qui interroge le genre -féminin ou masculin – du cinéma. Son troisième volet, FilmmakErs, est diffusé sur Cine +, le 1er octobre 2019 et sur mycanal tout le mois d’octobre. Et Je ne sais pas si c’est tout le monde de Vincent Delerm qu’elle a produit sera en salle le 16 octobre 2019

« L’étape suivante sera de ne plus renvoyer les femmes à leur statut de femme et de parler de cinéma, qu’il soit réalisé par l’un ou l’autre sexe »

Et de trois! Débutée en 2013, la trilogie de documentaires sur le sexe du cinéma accueille son nouvel épisode. Il s’agit du plus international des trois et du premier après #metoo.

L'interview de Julie Gayet- FilmmakErs- Cine-Woman
Julie Gayet

Comme les deux premiers volets Cinéast(e)s, FilmmakErs a été présenté au public du Festival du Film d’Angoulême en avant- première. Après la diffusion du plus récent volet sur Cine+ le 1er octobre 2019, les trois épisodes, tous produits par Christie Molia, sont à retrouver sur le site mycanal durant tout le mois d’octobre 2019. Et probablement dans un coffret DVD en 2020.

Cine-Woman a profité de la présence de Julie Gayet au 12e Festival du Film d’Angoulême pour l’interroger à ce sujet et sur beaucoup d’autres. Notamment sur le projet qu’elle a initié avec le chanteur Vincent Delerm.  Je ne sais pas si c’est tout le monde, un subtil autoportrait et dernier apparition à l’écran de Jean Rochefort, sera au cinéma le 23 octobre 2019.  «D’accord, a-t-elle dit, mais en buvant tranquillement une mousse à l’ombre ».

FilmmakErs est le troisième épisode de cette série de documentaire que vous et Mathieu Busson avez initié en 2013. Qu’apporte ce nouvel opus ?

Julie Gayet : Cinéast(e)s posait la question : « C’est quoi, pour vous réalisatrices, un cinéma de femme? ». En 2015, nous avions ensuite donné la parole aux réalisateurs en leur demandant : « C’est quoi un cinéma d’homme ? «. Et c’était bien la première fois qu’on les interrogeait à ce sujet, alors qu’on renvoie toujours les femmes à leur genre ! Ces films ont été tournés avant #metoo et l’affaire Weinstein. Légitimement, il fallait aller jeter un oeil, sur ce sujet devenu hyper stratégique, ailleurs, hors de nos frontières. C’est le sujet de FilmmakErs.

Le principe est-il resté le même au fil de votre série?

Julie Gayet : A chaque fois, nous interrogeons vingt cinéastes. Dans Cinéast(e)s 1 et 2, tous travaillaient en France, dans un pays où la proportion des réalisatrices est une des plus importantes au monde. Pour FilmmakErs, nous sommes allés dans des pays où la production est variée : au Tchad, en Inde, en Corée… avec l’idée d’interviewer à chaque fois une représentante d’un cinéma à gros moyens et d’un cinéma plus confidentiel. Ça n’a pas toujours été possible d’en trouver parce que ça n’existe pas toujours. En Corée par exemple, nous n’avons trouvé que July Jung ! A côté d’elles, il y a quelques françaises: Anne Le Ny, Agnès Varda, Justine Triet ou Léa Mysius

L'interview de Julie Gayet- FilmmakErs- Cine-Woman
Julie Jung, réalisatrice sud-coréenne

Etes-vous allés à Hollywood ?

Julie Gayet : Oui, nous avions profité du fait que Visages, villages d’Agnès Varda que j’avais co-produit soit sélectionné aux Oscars pour prendre rendez-vous avec de nombreuses américaines engagées sur la question. Mais, il est devenu difficile d’avoir accès à elles dans la forme que nous avions développée, à savoir des conversations informelles.. Soit elles n’avaient plus envie de prendre la parole de manière frontale, soit il y avait tellement d’intermédiaires que.. nous sommes revenus bredouille ! Mais, comme là-bas, les mouvements sont organisés, nous avons choisi de les intégrer à travers des extraits de prises de parole comme celle de Scarlett Johansson ou de Jodie Foster.

Selon vous, qu’est-ce qui a changé depuis le premier film tourné il y a six ou sept ans ?

Julie Gayet : Partout dans le monde,  les réalisatrices ont pris conscience à des degrés divers, en fonction des cultures de chacune, qu’il faut des actes pour que leur place soit plus importante. Avant, elles avaient la sensation que l’évolution se ferait naturellement. Désormais, elles savent qu’il leur faudra être pro-actives pour avoir accès aux mêmes moyens que les hommes pour faire leurs films. A la tête des studios d’animation américains, ce sont des femmes qui dirigent désormais ! 

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Deborah Ngakoutou Homal, réalisatrice tchadienne

Est-on vraiment plus en avance en France où la proportion de réalisatrices est plus importante?

Julie Gayet : En France, nous avons la sensation de buter sur un seuil sans avancer. 27% de réalisatrices – elle est optimiste , c’est plutôt 23 à 25% selon les années ndlr-  est un chiffre pervers. Les femmes cinéastes ne sont pas suffisamment peu nombreuses pour qu’on ne les voit pas. Dans le court-métrage, la parité est quasiment atteinte. Mais quand les budgets sont importants, il n’y a que des mecs. Une seule femme, Tonie Marshall, a eu le César du meilleur réalisateur. C’est pénible de le constater ! Il n’est pas normal que les femmes n’aient pas accès aux mêmes moyens, aux mêmes budgets que les hommes, avec une égalité salariale sur le plateau. Grave de Julie Decournau que nous avons produit avait un budget deux fois plus élevé que d’habitude. Cela ne doit plus être l’exception, mais la norme. 

Les lignes ont-elles bougé depuis #metoo ?

Julie Gayet : Tous ces mouvements, #metoo, #time’s up…, ont eu pour conséquence de montrer qu’il fallait mettre des moyens pour que les choses changent. C’est toute l’action menée par le Collectif 50/50 avec la charte qu’il fait signer aux festivals ou les six mesures adoptées par le Ministère de la Culture. Les chiffres ont parlé, les mots aussi ont changé. En cela, la montée des marches des 82 femmes au Festival de Cannes a été cruciale. Elle était la preuve d’une sororité internationale. C’est bien. Désormais, nous devons passé à l’étape suivante :  ne plus renvoyer les femmes à ce statut de femmes et juste parler de cinéma qu’il soit réalisé par l’un ou l’autre sexe. 

Au festival d’Angoulême 2019, vous avez aussi accompagné Je ne sais pas si c’est tout le monde, le film singulier de Vincent Delerm que vous avez produit.

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Je ne sais pas si c’est tout le monde, un autoportrait subtil de Vincent Delerm

Julie Gayet : Il s’agit d’une oeuvre très personnelle à la frontière de la fiction et du documentaire. Il dit hors compétition dans sa chanson-hommage à Agnès Varda. Justement, ce projet s’inscrit dans la même veine que Visages, villages. J’ai toujours trouvé la musique de Vincent Delerm cinématographique. Quand je l’ai rencontré, je lui ai proposé de l’accompagner dans une sorte de carte blanche. J’aime voir naitre un cinéaste, le regarder réfléchir, penser, comprendre comment s’exprimer dans ce médium. Il nous a fallu quatre ans pour monter ce projet atypique.  

Vous prévoyez de sortir en salle ce film de 58 mn. C’est audacieux, non?  

Julie Gayet : Certains spectateurs qui l’ont vu à Angoulême ont été complètement bouleversés. Le film plaît donc. Il faut évidemment trouver une manière cohérente et sur-mesure de le mettre en avant. Comme Vincent Delerm sort un nouvel album le 20 octobre 2019, nous avons pensé à un lancement commun au Cinéma des Cinéastes. Le film continuera sa vie en salle avec la possibilité de faire venir Vincent de temps à autre, le week-end à Paris, puis au fil de  sa tournée de concerts en province. 

Etre productrice, c’est être chef d’entreprise. Est-ce une joie ou une corvée?

JG : A ma grande surprise, j’adore ça ! Il m’a fallu douze ans pour m’y autoriser et deux ans de travail dans une Sofica à étudier les plans de financement de films pour me lancer. Pour rester actrice, je me suis entourée d’associés et d’une équipe de six personnes. Il y a deux ans, j’ai aussi lancé une société de distribution afin de l’intégrer au plus tôt dans nos projets. Désormais, nous achetons aussi des films. C’est le cas de L’orphelinat de Shahrbanoo Sadat qui sortira en novembre 2019.

L'interview de Julie Gayet- FilmmakErs- Cine-Woman
Kiruthiga Udhayanidhi, réalisatrice indienne

Concernant le genre et le cinéma, restez-vous optimiste?

Julie Gayet : La prise de conscience est mondiale et la société bouge. J’avais voulu faire un film sur les footballeuses de l’équipe de France. On m’a freiné, mais avec 11 millions de spectateurs lors de la Coupe du Monde, les choses vont forcément évoluer.  Quelque chose en train est en train de se passer. Continuons donc à nous engager, à nous retrouver, à brain-stormer ensemble.

Prévoyez-vous d’ajouter  un quatrième volet à votre série Cinéast(e)s?

Julie Gayet : Oui, sur les hommes à l’international. On va y arriver!

Propos recueillis par Véronique Le Bris

©Carole Bellaïche
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