L’interview de Meryem Benm’Barek

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Sofia, qui traite des relations hors mariages au Maroc et de leurs conséquences, a déjà été primé deux fois pour son scénario remarquable. Au Festival de Cannes 2018 section Un certain regard et au Festival International du Film Francophone d’Angoulême. Meryem Benm’Barek, sa réalisatrice, revient sur ce destin glorieux aux débuts difficiles.

 « Les femmes sont d’autant plus victimes de la société patriarcale qu’elles sont économiquement fragiles »

Interview de Meryem Benm'Barek - Cine-Woman
La réalisatrice Meryem Benm’Barek recevant son prix du scénario au Festival International du Film Francophone d’Angoulême

Meryem Benm’Barek, la réalisatrice du film Sofia, accompagnait son film au 11e Festival du Film d’Angoulême. C’est là qu’elle s’est confiée à Cine-Woman.

Comment est né le film?

Meryem Benm’Barek : Sofia est un composite de beaucoup d’histoires. A Casablanca, environ 150 femmes par jour accouchent d’un enfant hors mariage. Un vrai fléau auquel tous les marocains sont ou ont été confrontés. La problématique des mères célibataires est si répandue que ce n’est même pas un sujet tabou. Il est régulièrement abordé par les politiques. Les associations agissent beaucoup sur le terrain. Sofia est une histoire tristement banale et quotidienne.

Un fléau renforcé par la loi marocaine qui punit de prison les relations sexuelles hors mariage.

MBB : Oui. Une grossesse sans mariage est une preuve irréfutable. Les hommes comme les femmes encourent une peine de prison qui va de un mois à un an. C’est une loi clairement arbitraire et discriminatoire. Ses victimes sont surtout déshéritées. Tous les marocains ont une vie sexuelle, pas forcément épanouie ou saine mais ses « conséquences » se règlent plus facilement si on a les moyens. Avec de l’argent, au Maroc, on peut s’affranchir de toutes les lois.

L’avortement est-il autorisé?

MBB : La loi est en discussion pour que l’avortement soit autorisé sous certaines conditions. Cela semble en bonne voie. Mais, au Maroc on s’accommode de tout, suivant qu’on a les moyens, les contacts ou pas. Donc la vraie question c’est : qui peut et qui ne peut pas ?

Interview de Meryem Benm'Barek - Cine-Woman
Sofia et son enfant non désiré

Vous revendiquez plus la fracture sociale que la défense de la condition féminine. Pourquoi? 

MBB : Non, et je le fais d’autant plus qu’il me manque quelque chose dans la représentation des héroïnes arabes au cinéma. La plupart des films qui marchent en Europe remplissent certains critères et continue de mettre les femmes en avant comme des victimes du patriarcat et du machisme.

Meryem Benm’Barek, ce n’est pas le cas?

MBB : Le Maroc est une société patriarcale. Mais il faut bien comprendre ce qui fait que les femmes en sont victimes ou pas. Sofia refuse son statut de victime, car elle n’a pas le privilège d’accepter ce statut. Il faut avoir les moyens de se défendre et de l’assumer. Pour moi, c’est lié à l’argent, parce que les femmes sont économiquement plus fragiles que les hommes. C’est aussi cette réflexion là que je voulais mener à travers Sofia.

Les fées semblent s’être penchées sur le berceau de votre film. Il a été soutenu par le Doha Film Institute, par la Fondation Gan. Il a été sélectionné et primé à Cannes, à Angoulême… Avez-vous cette impression?

MBB: Pas du tout ! Sofia est le fruit de beaucoup de travail, d’investissements de toute une équipe. Il a fallu être tenace, laisser la place au rêve, être très concret et accepter les échecs, rebondir moults fois, faire de nombreux sacrifices.

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Meryem Benm’Barek

Lesquels?

MBB : Quand on est une femme et qu’on choisit ce métier-là, il reste une inégalité biologique entre nous et les hommes qui induit qu’on prenne plus de risques, sur la maternité notamment. Et si votre famille ne peut pas vous aider, c’est aussi se confronter longtemps à la précarité. Sofia est le fruit de 15 années très compliquées.

Ces sélections et ces prix ne vous ont pas « dédommagée »?

MBB: Pas encore ! J’ai accueilli ces nouvelles avec un mélange de la joie et de soulagement. Je ne pouvais pas rêver mieux. Et les prix du scénario restent les plus beaux que je pouvais recevoir, puisque le scénario, c’est la base du film, l’histoire qu’on raconte au public. Ce qui fait que les gens se déplacent au cinéma.

Sofia sortira-t-il au Maroc?

MBB : C’est prévu, en novembre ou en décembre, après le festival de Marrakech. C’est très important pour moi. J’ai fait un film pudique qui puisse ouvrir un débat au Maroc et non pas le fermer. Un film qui rentre dans les foyers et passe à la TV.

Et désormais, qu’allez-vous faire?

MBB : J’ai une idée assez claire. Je voudrais creuser la notion du rapport nord-sud, le regard de l’Occident sur le monde arabe et du monde arabe sur l’Occident, à travers une histoire d’amour. Le sujet est déjà un peu abordé dans Sofia via le personnage de sa cousine. Mais, cette fois-ci, le film sera tourné en France. Je n’ai pas encore eu le temps de commencer à écrire même si j’en ressens le besoin. Et ce n’est pas encore pour tout de suite. Dans les trois mois qui suivent, je vais accompagner Sofia dans les festivals.

Propos recueillis par Véronique Le Bris

© Chloé Arent
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