L’interview de Diego Galan

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Grand critique de cinéma espagnol, Diego Galan signe un premier long métrage puissant. Con la pata quebrada est un documentaire constitué d’extraits de films sur l’évolution du statut de la femme en Espagne. Rencontre avec ce brillant connaisseur, féministe à sa façon.

Diego Galan : « Les Suédoises en bikini ont aidé les Espagnoles à se libérer »

Critique de cinéma, longtemps directeur du Festival de San Sebastian, Diego Galan s’est depuis reconverti dans l’écriture de livres et de séries télévisées sur le cinéma espagnol. Con la pata quebrada est son premier long métrage, un documentaire constitué d’extraits de films espagnols dès années trente à nos jours, à travers lequel il étudie l’évolution du statut de la femme en Espagne. Rencontre avec ce brillant connaisseur, féministe à sa façon.

Comment vous est venu cette idée, de retracer l’évolution de la condition féminine espagnole à travers son cinéma ?

Diego Galan : Je ne sais pas comment les idées naissent mais on dit souvent que la seule révolution victorieuse du XXeme siècle a été l’émancipation de la femme. Or, moi, je vois surtout des films très machistes. Et, comme le cinéma reflète toujours volontairement ou non la réalité d’un pays à un moment donné, j’ai voulu montrer ce que les films espagnols disent de cette évolution de la condition féminine en Espagne.

D’où vient ce titre « con la pata quebrada » ?

D’une expression typiquement espagnole, intraduisible et incompréhensible même dans les autres pays hispaniques : « une femme honnête est mariée, la jambe cassée et à la maison ». Normalement, on dit même la « patte » plutôt que la jambe. Elle représente bien le machisme qui ressort de mon documentaire et donc de la réalité.

Con la pata quebrada, le début

Comment vous avez-vous travaillé sur ce sujet ?

Dans ma carrière, j’ai vu énormément de films espagnols. Et j’ai toujours été frappé par ce dialogue entre deux curés qui disent «le pire fléau au monde c’est la femme. Elle est le typhus, le choléra, la guerre, le diable ». Ce dialogue est tiré d’un film des années 30. A l’époque, l’Espagne était une république : les femmes avaient le droit de voter, de divorcer, de travailler sans l’autorisation de leur mari ou de leur père, de gagner autant que leur mari, même d’avorter dans certaines régions du pays. Ce fut l’époque la plus libérale de l’Espagne au XXe siècle, et pourtant, on entendait dans les films ce genre de dialogue. Inutile de vous rappeler qu’avec la Guerre Civile, tous ces droits ont disparu.  Mais, cela prouve qu’il a toujours existé en Espagne un cinéma de droite, réactionnaire, très puissant. En partie à cause du catholicisme fervent. Le même qui a voulu modifier la loi sur l’avortement l’hiver dernier.

Le bikini facteur d'émancipation de la femme espagnole

Quand a finalement commencé l’émancipation féminine en Espagne, selon vous ?

Avec le tourisme et l’arrivée massive des suédoises sur la Costa del Sol. Elles s’exposaient en bikini, on prétendait qu’elles faisaient l’amour avec tous les machos espagnols… Je le cite dans mon documentaire car il y a beaucoup de films qui en témoignent !

Dans votre film, vous citez aussi une pub qui recommande aux espagnoles de ne pas se prendre pour des femmes françaises

Oui, parce que c’était jugé immoral. En Espagne, la religion a un poids considérable, et le cinéma le prouve. Par exemple, il est montré dans certains films, sous couvert de la religion, que les femmes qui restaient célibataires, qui ne trouvaient de mari, avaient pour vocation d' »habiller les saints de l’église ». C’était leur destin.

Si on adaptait le principe de votre film à la société et au cinéma français, qu’en serait-il ?

Les conclusions seraient très différentes : vous avez eu Brigitte Bardot ! Ses films étaient interdits, l’amour libre était impossible chez nous!

Mais, Iciar Bolain a par exemple réalisé un film puissant sur les violences conjugales Je te donne mes yeux. Nous n’avons jamais eu l’équivalent ici !

Son film était une prise de conscience, le reflet de ce qui existe. A-t-il eu une influence? Encore aurait-il fallu que le film soit vu, beaucoup vu!

D’autres dans d’autres pays ont-ils eu la même démarche que vous ?

Je crois que c’est le premier documentaire du genre qui existe et ceci quel que soit le pays. C’est impossible de le faire ailleurs que chez soi, car il faut non seulement connaître le cinéma mais aussi avoir vécu la réalité du pays pour y être sensible. En revanche, cela m’intéresserait de comparer avec ceux qui existeront. Car l’Espagne a une histoire particulière, particulièrement tragique.

Il n’y a aucun extrait de films réalisés par une femme dans votre documentaire.

Parce que peu de femmes sont réalisatrices alors que les films font et ont beaucoup fait rêver les spectatrices.

La femme espagnole, domptée

Pensez-vous que leur point de vue serait différent ?

Forcément différent : normalement, elles ne sont pas machistes!  Je pense qu’on voit les histoires humaines d’une manière plus libre quand on est une femme. Par exemple, Iciar Bolain comprend l’homme violent de son film à la fois comme un tortionnaire et comme une victime. ce qui n’aurait jamais été le cas sous le regard d’un homme. Son parti pris aurait été plus radical. Pour moi, c’est cela la compréhension féminine. De même pour l’instant, les réalisatrices ne semblent pas être intéressées par le fait de faire des produits : elles veulent faire des films d’auteur et elles ont bien raison. Dans ma carrière, je n’ai jamais rencontré une réalisatrice qui rêvait de faire un film d’action pure. Tant mieux !

Quel sera votre prochain projet? 

Je réalise un documentaire de commande sur le designer Elio Berhanyer, et un autre sur Pilar Miro, une réalisatrice, l’ancienne directrice du centre du cinéma espagnol et d’une chaîne de télévision. Une personnalité très forte qui a fait polémique en révélant la torture durant la Guerre Civile.

Où voir le film?

Con la pata quebrada de Diego Galan sortira en salle le 18 juin 2014.

Le film a été sélectionné à Cannes Classics en mai 2013. Il est disponible en DVD.

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