Les Tops 5 d’Alex Masson

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Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou(te)s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqués. Alex Masson, sélectionneur des films français du Champs Elysées Film Festival, nous a confié ses listes.

Les choix d’Alex Masson

La 6e édition du Champs Elysées Film Festival ouvre ce soir, le jeudi 15 juin 2017. Avec une nouveauté : une compétition de six longs métrages français. Jusque là, ne s’opposaient que des films américains. C’est Alex Masson qui a été chargé de composer cette nouvelle programmation.

Les choix d'Alex Masson - Cine-Woman
Alex Masson

Programmer, conseiller aux sélections, Alex Masson en a l’habitude. Après plusieurs années à la Semaine de la Critique, il a participé aux choix des films des festivals de Biarritz Amérique-Latine, de Belfort ou d’Amiens. Depuis dix ans, il est délégué au Festival International San Sebastian.

Tout ce que vous avez voulu savoir sur le cinéma … 

Mais, Alex Masson est aussi un critique et journaliste de cinéma réputé. On le lit dans Cinema Teaser, Phosphore, Flash (magazine toulousain) ou Notre Temps. On l’entend sur Radio Nova ou Filmo TV. Il suffit de lui raconter une scène et il vous donnera le film, l’année, le remake qui en a été fait et… la version qu’il préfère. C’est simple : il connait tout ou presque.

Il faut dire qu’Alex Masson a commencé très jeune, vers 7/8 ans en avalant tous les films qui passaient à la télévision. Ses programmes fétiches : Histoires sans paroles qui diffusaient des extraits de films muets de Chaplin ou Buster Keaton et L’avenir du futur où il a découvert les versions – « coupées » précise-t-il – de films de science-fiction, comme Le mystère Andromède de Robert Wise ou La bataille au-delà des étoiles de Kinji Fukasaku. Toujours à la TV, il a une révélation avec Mon nom est personne de Tonino Valerii et Sergio Leone. Alors que sa première fois au cinéma lui laisse un souvenir flou : Fantasia ou Cours toujours… tu m’intéresses ! d’Edouard Molinaro ? Il ne sait plus très bien.

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Le générique d’Histoires sans paroles

Qu’importe ! Alex Mason se rattrapera largement lorsqu’il quitte Lyon pour le sud, en 1982. A Nice, il fréquente assidument le Rialto, le Mercury et le Gaumont. Il découvre La porte du paradis de Michael Cimino, Blade Runner de Ridley Scott. Et quelques chefs d’oeuvre de la comédie française : Pinot simple flic de Gérard Jugnot, Tête à claques de Francis Perrin ou Fais gaffe à la gaffe! de Paul Boujenah.

Alex Masson, l’incollable

Son goût s’affinera à Toulouse où il débarque en 1986. Pour gagner sa vie, il travaille de nuit dans une radio associative en tant qu' »animatrice de minitel rose » ! Dans le studio d’à côté, un type anime une émission sur le cinéma. Il fait des bourdes. Alex Masson le corrige et finit à l’antenne. Il peut alors aller au cinéma gratuitement – le rêve!- et va donc tout voir. « Pendant ma période toulousaine, j’ai vu Tous les films sortis en salle », balance-t-il. Tous ? Oui !

Incollable, il se fait remarquer par les journaux locaux, puis nationaux. Alex Masson débute à Première, puis aux Inrocks, à Brazil… Ne ressent-il jamais une légère indigestion dans cette boulimie de films ? A peine une petite lassitude depuis 2010. Mais aucune frustration. « Disons que l’offre s’est tellement formatée que malheureusement,  je suis rarement surpris », avoue-t-il. Mais, il suffit de lui lancer un défi pour qu’il aille dénicher des raretés. La preuve avec les Tops 5 qu’il a confiés à Cine-Woman.

Mes 5 films de femmes préférés

1 – Dans ma peau de Marina de Van (2002)

Plus que (parfois) Claire Denis ou Catherine Breillat, le cinéma de Marina de Van m’impressionne par sa volonté de regarder là où la plupart des cinéastes ne veulent pas jeter un œil.

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Marina de Van et Laurent Lucas dans Dans ma peau de Marina de Van

Par sa capacité à fusionner le transgressif et l’intime, le corps et les névroses. Dans ma peau est un très rare cas de film aussi clinique que charnel, physiquement introspectif.

2 – Broken Mirrors de Marleen Gorris (1984)

Inexplicablement méconnue en dehors de sa Hollande, Marleen Gorris est pourtant l’équivalent féminin de Paul Verhoeven. Elle porte le même regard, sans fard sur les rapports homme/femme au travers de films cinglants, casseurs de codes. Souvent pour parler crûment des violences faites aux femmes.

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Broken Mirrors de Marleen Gorris

Il faut voir ses premiers films. A question of silence où le procès de trois femmes devient celui du patriarcat. Last island – après un crash aérien sur une île déserte, les survivants réinventent une communauté autour d’une femme -. Mais surtout Broken mirrors mise en parallèle du calvaire des victimes d’un tueur en série et de celui d’une nouvelle employée dans un bordel. Le film noir se fait époustouflante chronique sociale et féministe.

3 – Mouton de Marianne Pistone & Gilles Deroo (2013)

Je triche un peu, avec un film co-réalisé par un homme. Mais Mouton est un cas tellement singulier de film libre, de puissance esthétique que ce petit écart me sera pardonné. Chronique d’une absence soudaine et du poids que son vide fait porter sur les proches qu’a croisé un apprenti en restauration, Mouton contourne certaines règles du cinéma, en cassant sa narration ou en ne donnant pas toutes les clés.

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Mouton de Marianne Pistone & Gilles Deroo

Y voir la rencontre entre le mysticisme d’un Bruno Dumont et la captation de ce qu’il y a d’extraordinaire dans les vies ordinaires chez un Depardon n’est pas suffisant. Sans doute parce que contrairement à ces deux-là, Pistone et son compère ne se contentent pas de rester en poste d’observation. Les tranches de vie de Mouton sont autant de tranches d’âme qui argumentent une déchirante question : existe-t-on par soi ou à travers les autres ?

4 – Vorace d’Antonia Bird (1999)

Initialement Vorace était un film de Milcho Manchevski (la révélation éphémère de Before the rain, porté disparu depuis). Viré au bout de deux semaines de tournage, il a été remplacé par Raja Gosnell. A son tour viré, la productrice du film a appelé à la rescousse Antonia Bird, une vétéran de la BBC. Ce qui a sans doute sauvé Vorace

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Vorace d’Antonia Bird

Le film est fracturé entre divers genres (western cannibale, comédie noire, cinema fantastique…) que Bird a admirablement suturé. A l’arrivée, Vorace croque à pleine dents le portrait d’une Amérique primitive où la seule valeur reste la sauvagerie. Comme tous les grands film d’horreur, l’effroi se cache plus dans le message que les effets gore.

5 – Open hearts de Susanne Bier (2003)

Oubliez Lars Von Trier et Thomas Vinterberg ! La vraie révélation de Dogme 95 (le mouvement farcesque crée par les deux trublions danois) est Susanne Bier.

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Sonja Richter et Mads Mikkelsen dans Open hearts de Susanne Bier

Elle s’est pliée aux codes de cette charte – image brute, prise directe avec le réel…- pour transformer une intrigue de roman photo (deux tourtereaux brisés par un accident de voiture ont une liaison avec les responsables de la catastrophe) en mélo à sec, abrasant les sentiments comme du papier de verre. Moins exhibitionniste – quoique mettant à nu un Mads Mikkelsen débutant – que les films Dogme de Von Trier (Les idiots) et Vinterberg (Festen), Open hearts touche à une authenticité beaucoup plus douloureuse. Et confirme que les histoires d’amour finissent mal.

5 prestations d’actrices inoubliables

1 – Carice Van Houten dans Black Book (2006) et Jennifer Jason Leigh dans La chair et le sang (1985) de Paul Verhoeven

Impossible de départager ces deux rôles. Que ce soit parce que modelés par le même réalisateur, Paul Verhoeven, ou parce qu’ils sont deux figures d’une féminité qui se dévoile dans l’adversité.

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Carice van Houten dans Black book

La juive qui se déguise en nazie de Black Book comme la princesse qui se fait passer pour une victime dans La chair et le sang, sont deux victorieuses survivantes qui s’émancipent des hommes comme de l’Histoire.

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Jennifer Jason Leigh dans La chair et le sang

Carice Van Houten comme Jennifer Jason Leigh étant devenues avec ces personnages, d’éternelles walkyries rebelles.

2 –Meiko Kaji dans La femme Scorpion de Shunya Ito (1972)

On ne chantera jamais assez les louanges du cinéma d’exploitation japonais des 70’s quand celui-ci à su mettre en scène des femmes vengeresses pouvant se permettre toutes les outrances. La série des Femme Scorpion (1972-77) est un sommet de pop-culture nippone, entre érotisme et violence de série B.

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Meiko Kaji dans La femme scorpion

Sous sa revisite du film de « femmes en prison », cette saga mue en prise de pouvoir des femmes. Meiko Kaji aussi sensuelle que dominatrice ou castratrice en sera une des plus fortes icônes. Tarantino aura beau citer ce cycle dans Kill Bill, ses héroïnes ne sont jusque là jamais arrivées à la cheville de Kaji en Sasori, teigneuse victime des sévices masculins rendant coup pour coup.

3 –Melanie Griffith dans Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme (1986)

C’étaient les années 80. Celles où l’Amérique formatait les gens en nouvelles classes sociales et nouveaux acronymes. Au départ de Dangereuse sous tous rapports, on pense que le personnage principal est un Yuppie. Tout faux. C’est Lulu, qui mène la danse, une femme libérée de toute étiquette qui embarque dans sa virée buissonnière, un jeune cadre dynamique coincé dans son costume à épaulettes.

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Melanie Griffith dans Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme

Melanie Griffith est sensationnelle en espèce de Mary Poppins sursexuée, délurée, faisant sortir ce gars de ses gonds et de ses carcans. Mais pouvant aussi redevenir aussi fragile qu’une petite fille quand réapparait un ex. A elle seule, Griffith invoque les séductrices glamour du passé – Entre sa perruque brune et ce prénom qui se prononce Loulou, Louise Brooks n’est pas loin- et celles du présent – il y a du Madonna dans la sexualité exacerbée et assumée du personnage.

4 –Meryl Streep dans Le choix de Sophie d’Alan J. Pakula (1982)

Alors qu’elle s’est fait connaître en héroïne de mélo conjugal moderne, avec Kramer contre Kramer, Meryl Streep sait déjà se faire caméléone pour remonter aux sources du genre. Bien avant que le scénario du Choix de Sophie révèle son terrible pot aux roses, il y a quelque chose de cassé dans le regard et dans la voix de cette femme qui ne peut plus vivre comme les autres.

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Meryl Streep et Kevin Kline dans Le choix de Sophie

Streep est plus forte que la mise en scène de Pakula, qui ne sait pas par quel bout prendre l’atrocité au cœur du film. C’est elle qui rend le film crève-cœur, en mère orpheline d’enfant, faussement joyeuse mais vraiment désespérée. Elle qui transforme progressivement son corps en marionnette désarticulée par le destin. Après Streep dans ce film, il n’y aura plus d’incarnation hollywoodienne possible de femme brisée.

5 – Danièle Delorme dans Voici le temps des assassins de Julien Duvivier (1956)

C’est bien connu, les meilleurs rôles de femme, sont ceux des garces séductrices. Celle que joue Danièle Delorme dans Voici le temps des assassins est une des plus réussies du cinéma français parce qu’elle ne paie pas de mine. Parce que jusqu’au bout, on ne sait pas si elle est le bras armé d’une vengeance ou si elle prend goût à la manipulation d’un restaurateur.

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Danièle Delorme et jean Gabin dans Voici le temps des assassins de Julien Duvivier

Parce qu’on croit tellement à sa façade d’ingénue, d’oisillon tombé du nid se mettant à jouer les coucous dans le lit d’un restaurateur qu’on aura presque envie de la sauver d’un funeste épilogue, lui donner une seconde chance. Catherine c’est presque une Cosette du XXe siècle : une enfant des rues prise dans le miroir aux alouettes d’une promesse de vie bourgeoise. Un ange qui se laisse prendre à son propre enfer avant de s’y consumer.

© Benjamin Guénault – Shellac Distribution – Rezo Films – Pathé Distribution –

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