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Tatjana Bozic

Tatjana Bozic

Anéantie par ses échecs amoureux à répétition, la réalisatrice Tatjana Bozic retrouve ses ex éparpillés dans toute l’Europe afin de leur demander pourquoi leur relation a échoué et les filme dans Happily Ever After. Une audace ? Une folie ? Elle s’explique.

« Il m’a fallu du temps pour apprécier les autres femmes »

Tatjana Bozic

Tatjana Bozic, votre film mélange deux aspects : vos amours et les pays où vous avez aimé. Pourquoi avez-vous autant voyagé ?

Tatjana Bozic : Je suis née en Croatie. Quand j’ai eu 15 ans, mon père a été muté à Moscou comme représentant d’une grande compagnie yougoslave. Nous y avons vécu 5 ans puis la guerre a éclaté en Yougoslavie. Du coup, nous y sommes restés. J’étais à l’Université et je n’avais plus eu envie de rentrer.

Et ensuite ?

J’ai pris l’habitude de changer souvent de pays, en fonction de mes rencontres. Après avoir vécu à Moscou, à Zagreb, à Londres, déménager à Amsterdam il y a 8 ans ne m’a demandé aucun effort : je savais que je devrais apprendre une autre langue et que les deux premières années sont les plus difficiles. Et puis Amsterdam est idéal pour élever un enfant !  La perspective de passer toute sa vie au même endroit ne m’a jamais plu.

Aux Pays-Bas, qu’est-ce qui vous a surpris ?

La société civile est très émancipée, les rôles ne sont pas aussi sexués qu’en Europe de l’Est. Beaucoup d’hommes occidentaux aiment les filles de l’Est car justement, elles sont plus « gentilles », plus douces, plus féminines paraît-il… Ce n’est pas mon cas. Et les relations multiculturelles sont compliquées.

Votre vie amoureuse aurait-elle été plus facile si elle avait été moins multiculturelle ?

Oui et non. Je crois que j’ai toujours cherché des situations ou des hommes dramatiques. Et s’ils ne l’étaient pas, j’ai tout fait pour qu’elles le deviennent. Dans un de ses vieux films, Guerre et AmourWoody Allen fait dire à une femme « je n’ai jamais voulu me marier, seulement divorcer ». J’étais un peu comme ça !

C’est-à-dire ?

En Russie, on dit que « quand une femme sait ce qu’elle veut, elle l’obtient toujours ». Si j’avais su exactement ce que je voulais ou si je l’avais admis, je l’aurai sans doute eu. J’avais envie d’un homme pour la vie, mais ceux que j’ai choisi étaient instables ou top jeunes.

Pour comprendre, vous explorez plusieurs pistes, notamment celle de votre mère, heureuse et épanouie quand elle travaillait mais qui a arrêté de l’être quand elle est devenue femme au foyer.

Quand elle vivait en Croatie, elle avait une vie professionnelle, sociale etc… A Moscou, tout a changé : la vie, la ville, tout était gris, il faisait très froid, elle n’avait plus ni travail, ni amie, ni famille, ma sœur et moi nous étions à l’école. Elle ne s’est pas plainte mais a commencé à boire, elle n’était pas heureuse et elle en est morte. Je me suis toujours promis de ne pas jamais être comme elle.

Et votre sœur, comment a-t-elle réagi ?

Elle a fait sa vie très jeune en Croatie : elle s’est mariée dans la vingtaine, a travaillé, a fondé une famille. Son cas est différent. Petite, elle a toujours vécu avec mes parents, tandis que moi, j’étais élevée par mes grands-parents. Mon père l’adorait. Mais, elle a eu d’autres problèmes.

Avez-vous fait une psychanalyse pour vous aider à comprendre ces échecs amoureux ?

Une psychothérapie, de l’analyse transactionnelle qui m’ont beaucoup aidé. Après ma rupture avec Jacob, l’anglais, je suis devenue boulimique. Par réaction à ce que je faisais de ma vie, dans laquelle je me perdais moi-même en provocant ces hommes. Je vivais en Croatie, deux ou trois après la guerre, et le régime politique était autocratique, instable. Tout était difficile. J’ai compris que ma boulimie était du même ordre que l’alcoolisme de ma mère. Voilà pourquoi j’ai consulté.

Auriez-vous pu faire ce film sans avoir mené cette thérapie ?

Cette période était horrible, mais il fallait que je la vive. J’avais besoin de me connaître. D’une certaine façon, cette boulimie a été salvatrice : elle m’a beaucoup appris sur moi-même et sur mes amis. La thérapie m’a aidé à ne pas défendre mon ego en permanence. Ce qui m’a permis de réaliser un film plus ouvert, moins pudique, un film qui dépasse les apparences.

Tatjana Bozic et ses ex

Comment vos ex ont-ils réagi en voyant le film ?

Ils m’ont félicité et jugé que le film était très professionnel et émouvant. Et ils ont apprécié que je ne les accuse pas, ni que je ne les montre pas comme des bad boys. L’un m’a même dit : «je suis mieux dans ton film que dans la vie ».

Aviez-vous écrit un scénario que vous avez donné à vos anciens amants ? Avez –vous répété avant de les filmer ?

Non. Je n’ai rien écrit. Seul, Jacob m’a demandé de ne pas raconter comment notre relation s’est finie. Quand je les ai appelés, je leur ai dit que je faisais un film sur moi, sur les personnes importantes de ma vie et que j’avais besoin de leur aide. Cela leur a ouvert le cœur ; ils l’ont pris comme une mission. Je pouvais donc leur faire confiance. Quand l’équipe les filmait, ils se contrôlaient. Mais, j’avais toujours une petite caméra qu’ils ont fini par oublier. Là, ils sont plus naturels, plus intimes.

C’est une base de scénario génial pour Hollywood. Avez-vous des contacts ?

Pas vraiment, même si un producteur de Steven Spielberg, qui est croate, m’a dit la même chose ! Il y a déjà eu quelques films proches : Broken Flowers de Jim JarmushBill Murray retourne voir les femmes de sa vie pour connaître son fils ou Toute l’histoire de mes échecs sexuels de l’anglais Chris Waitt. C’est le point de vue de l’homme qui est adopté et ca se limite au sexe. Quand les femmes parlent d’échecs amoureux, elles parlent rarement de sexe mais plutôt de la défaite de l’engagement. Le point de vue est très différent.

Votre film, Tatjana Bozic, se pose par moments sur une série de visages de femmes en gros plan. Pourquoi ?

Cela ne répond à aucun concept particulier. Je voulais filmer des femmes, ce que le directeur de la photo a commencé à faire en close-up. Il était tellement proche d’elles que je leur ai parle et elles se sont livrées. Les insérer permet de montrer que le film ne parle pas que de moi, mais aussi d’autres femmes qui s’y sont identifiées. Ce qui m’a donné l’idée de mon prochain projet : que de nombreuses femmes, issues de plusieurs pays, se confient sur leur expérience amoureuse.

Maia Mazaurette et Tatjana Bozic lors de l’avant-première de Happily Ever After à Paris

Fallait-il que vous parliez de votre propre expérience pour vous intéresser aux autres ?

Il m’a fallu du temps pour aimer les autres femmes. Quand j’étais jeune, je me sentais toujours en compétition avec elles. Du coup, je ne m’intéressais qu’aux hommes. Puis j’ai rencontré la femme d’Aleksei. Nous étions amoureuses du même homme et aussi malheureuses l’une que l’autre. En devenant amie avec elle, j’ai commencé à changer d’avis sur les femmes et à apprendre la solidarité féminine. Maintenant que je suis connectée à elles, que j’ai lu des livres, que je m’y intéresse, c’est  important qu’elles m’ouvrent leur cœur, après que j’ai ouvert le mien. Et qu’on réhabilite les valeurs féminines de l’humanité qui sont de plus en plus mises à l’écart.

Où en est ce deuxième projet ?

J’ai écrit le scénario et commencé les recherches d’images. Il s’agira d’un documentaire qui joue avec des éléments plus fictionnels et que je veux drôle et triste à la fois. Il parlera d’amour, de perte, de mort. Parfois, les histoires seront lourdes, parfois métaphoriques ou poétiques, mais toutes mettront en avant les principes féminins d’une relation amoureuse. D’ailleurs, les Françaises m’intriguent sur ce point-là.

Lire aussi la critique de Happily Ever After

 

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