Cine Woman

La Flor

Facebook

La Flor de Mariano Llinas serait la plus longue fiction de cinéma. Mérite-t-elle les treize heures trente qu’elle exige du spectateur? Rien n’est moins sûr à moins d’adorer être dévoré par un ogre-réalisateur.

Une orgie d’images

La Flor de Mariano Llinas a créé l’événement au Festival de Locarno, au début du mois d’août 2018. Il en est reparti avec un intérêt de la presse exigeante (qui n’avait pas toujours vu les treize heures trente de film) et un tout petit prix. Une mention spéciale d’un jury jeune…

La Flor et le champ dans l’épisode 3 consacré à l’espionnage. Au premier plan, Elisa Carricajo.

Le film a aussi été sélectionné au 27e festival international du film latino-américain de Biarritz. Cine-Woman était membre du jury du Syndicat de la critique et a donc vu La Flor en entier. Que retenir de ces près de quatorze heures de film?

Une oeuvre-somme…

Un concept, tout d’abord bien expliqué à deux ou trois reprises par le réalisateur Mariano Llinas. Son ambition (sa mégalomanie? ) est telle qu’il envisage de synthétiser – et dieu sait que le mot n’est pas approprié dans son cas !- tous les genres du cinéma pour en faire l’œuvre-somme.

La Flor composée de ses quatre pétales, son calice et sa tige, soit six parties… telle que dessinée et pensée par Mariano Llinas

Elle contient ainsi quatre films dont aucun n’est fini, un cinquième fini et au final une boucle – représentée par la feuille de la fleur telle qu’il la dessine et qu’elle apparaît sur l’affiche.  Il oublie généreusement les 40 mn de générique (!) qui filme, image à l’envers, le déménagement de fin de tournage.

Au départ, le principe est séduisant. Il est audacieux, né de la rencontre du réalisateur avec quatre actrices d’une même troupe de théâtre et qu’il a vu jouer sur scène. Elles avaient un projet de film, elles lui en ont parlé et après plusieurs échecs, ce projet est devenu La Flor, œuvre gargantuesque filmée sur dix années. Il fait peur aussi. Mais, il s’envisage comme un objet cinématographique qui répondrait au succès actuel de la série télévisée, alors que c’est jusqu’à présent l’inverse.

Au final, ce ne sera pas du tout cela. Les quatorze heures se visionnent désormais en quatre séances d’environ trois heures chacune, entrecoupée d’entractes ( d’intervalles comme dit Mariano Llinas). Au total, le film compte six parties distinctes. Cine-Woman a vu le film dans un découpage différent en trois fois : le premier et deuxième épisode, le troisième en une seule séance puis le quatrième et le cinquième à la suite.

… ou une somme d’oeuvres

Les deux premiers épisodes – une série b – et surtout un film musical (abusivement présentée comme une comédie musicale) tiennent à peu près la route. Enfin, on ressent déjà cette sensation désagréable d’être prise en orage par un ogre manipulateur. Mais le propos est assez narratif même si décalé, puis laissé en suspens.

Les quatre actrices de La Flor sont dans l’ordre (de guache à droite) : Pilar Gamboa, Valeria Correa, Elisa Carricajo et Laura Paredes

En revanche, le quatuor d’actrices est formidable, charismatique et donne toute sa chair au projet. Mais, déjà, on cerne mal l’enjeu, l’objectif et la réalisation inspirée des telenovelas sud-américaines réduit la portée du second épisode, celui de la comédie romantique chantée, certes le plus classique et le mieux maîtrisé. Quand on en est là, on a déjà près de 4h de film derrière soi, et un certain scepticisme à affronter les dix heures restantes. À juste titre…

Quand La Flor s’étiole

La Flor reprend alors avec l’interminable épisode 3, le redoutable film d’espionnage qui dure bien six heures. Et là, ce film-somme devient difficile à avaler ! Il reste pourtant une sorte de récit et les quatre actrices dont Mariano LLinas raconte l’histoire en consacrant un film à chacune. C’est l’occasion d’une interminable voyage à travers le monde, la Sibérie, Londres, Bruxelles, Paris, la jungle sud-américaine… dépaysant certes mais tellement déroutant qu’il devient impossible de s’y accrocher. Les héroïnes se regroupent toutefois pour une mission  (pourquoi ? comment se rencontrent-elles? Mystère).

Episode 3 (interminable) sur l’espionnage

Le film, déjà très bavard dans les premiers épisodes, se transforme en un(e) (pen)sum/ somme littéraire, érudite, lue par deux voix off hyper denses. Un peu comme si un lecteur vous faisait six heures durant la lecture d’un livre que vous n’auriez ni choisi, ni envie de lire, sans pouvoir le fermer et tout en vous obligeant à regarder des images redondantes. Sans libre arbitre et à peine quelques respirations, le film devient un enfer sans queue ni tête, sans autre propos que d’exploser la norme, dont on cherche à s’extraire au plus vite. Hélas, il faudra encore patienter et pour le pire.

En quête de sens

Les 4/5/6 dernières heures, on ne sait plus très bien- frôlent avec un état délirant, de transe. Le quatrième épisode, s’il commence par une scène de révolte amusante des quatre actrices, s’égare dans l’étrange mégalomanie d’un réalisateur en quête de sens. Il oublie ses actrices au profit d’arbres en fleurs, finit par les retrouver.

La révolte des actrices

Mais elles ne sont plus des héroïnes fortes, puissantes. Seulement des femmes soumises au désir d’un démiurge qui n’arrive plus à leur donner ni rôle, ni autre fonction que tentatrices ou reproductrices. Là, le délire est total, le propos absurde, la voix off ultra présente et les réflexions du mâle réalisateur érudites mais improbables.

L’homme sur-puissant

Il extrait les actrices définitivement du cinquième épisode, muet, sans son, en noir et blanc, un hommage à Partie de Campagne de Jean Renoir. Pourquoi? « Parce que je le sentais comme ça! ».

Episode six, les mêmes – Pilar Gamboa, Elisa Carricajo, Laura Paredes et Valeria Correa- épanouies puisque enceintes ! Quel scandale!

Dévoré par la pieuvre de son cerveau omniscient, déformé par la mégalomanie – tue-t-il ses actrices qui lui font de l’ombre ? – il les retrouve ensuite en baigneuses de Renoir (le peintre là), filmées au filtre et engrossées, objet d’un désir assouvi mais qui les a dépersonnalisées, anéanties. Resterait la sensation d’en avoir enfin fini… il reste pourtant un générique de 40 mn, qui défile écrit là encore par la main du maître sur une image inversée ( la tête en bas).

Hold-up

Au Festival de Biarritz, le public s’est parsemé au fur et à mesure des projections. D’une salle comble de 1200 personnes au début du premier épisode ont  résisté 300 spectateurs au bout des quatorze heures, soit trois jours plus tard.

La Flor m’a tuée !

Même s’il en faisait la moitié ou le quart, le film concept La Flor resterait contestable. Ce film est un hold-up, le délire d’un démiurge perdu dans sa démesure. Si on peut lui arracher des moments de cinéma, des images, Marian LLinas refuse d’avoir conscience du rythme et s’efface sous le flot d’une logorrhée interrompue, certes savante et littéraire mais finalement inaccessible, inaudible, insupportable et finalement malsaine.

Résister à La Flor

Voir La Flor reste incontestablement une expérience. Celle d’une manipulation, celle d’un ogre dont on se sent l’otage et dont on regrette vite d’avoir, ne serait-ce qu’un instant, céder une minute à l’idée qu’il ait pu nous dévorer.

De Mariano Llinas avec Pilar Gamboa, Valeria Correa, Elisa Carricajo, Laura Paredes…

2008/2018 – Argentine – 13h34

©AgustínMendilaharzu – ElPamperoCine -SantiagoMitre
Facebook
Quitter la version mobile