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Les tops 5 d’Alice Winocour

Alice Winocour, pour Dharamsala Paris-FRANCE

Dans Revoir Paris, Prix Alice Guy 2023, Alice Winocour filme la difficile reconstruction d’une victime d’un attentat. Elle a confié ce rôle à Virginie Efira, récompensée du César 2023 de la meilleure actrice. L’occasion idéale pour découvrir les réalisatrices et comédiennes qui l’inspirent.

Les choix d’Alice Winocour

Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou.te.s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqué.e.s. C’est au tour d’Alice Winocour de nous confier ses listes.

Plus de 530 000 entrées au cinéma, un César de la meilleure actrice pour Virginie Efira et une émotion palpable commune à ceux qui ont vu Revoir ParisAlice Winocour recevra, en plus, le 6e Prix Alice Guy le jeudi 13 avril 2023 au Max Linder Panorama.

Alice Winocour, Prix Alice Guy 2023

Film intime sur le long cheminement d’une victime d’un attentat dans une brasserie,  son quatrième film, révélé à la Quinzaine des réalisateurs 2022, installe définitivement une réalisatrice discrète sur la scène du 7ème art. « Finalement, toute mon enfance et mon adolescence m’ont préparée à devenir réalisatrice, reconnait Alice Winocour. A mon insu, puisque j’étais déterminée à exercer un métier utile : celui d’avocate pénale ».

Tout en préparant une maitrise de droit à l’Université d’Assas à Paris, elle fréquente assidûment les cinémas du quartier latin. Elle y va presque tous les jours, poursuivant ainsi la longue construction d’une cinéphilie entamée dès l’enfance. « Ma mère a acheté un magnétoscope très tôt. Avec mon frère, on regardait des films toute la journée. On vivait à travers et dans les films. Ils étaient au centre de nos jeux. Nous avions un rapport complètement compulsif au cinéma jusqu’à regarder le même film plusieurs fois par jour ! » se souvient-elle. Elle pense même que son envie d’être avocate est née des plaidoiries qu’elle a vues à l’écran, comme celle de Mr Smith au sénat. Son frère, lui, est devenu professeur de philosophie et de cinéma… Quant à son goût pour la direction d’acteurs, il vient d’une enfance passée sur les planches du théâtre des Quartiers d’Ivry, créé par Antoine Vitez et dirigé par Catherine Dasté, et des grandes représentations de fin d’année.

Alice Winocour, une cinéphile depuis l’enfance

Alice Winocour revendique une cinéphilie très éclectique, basée au départ sur les envies de sa mère qui enregistrait et réenregistrait les cassettes VHS, ce qui mélangeait les débuts, des bouts et des fins de films. A charge de la jeune Alice de répertorier et classer les quelques 800 films de la collection familiale dont aucun n’était interdit aux enfants. A l’âge de 8 ans, son film culte est Psychose d’Alfred Hitchcock.

Aux côtés d’un ami, elle tente le concours de la Femis, suis le parcours en scénario puisqu’elle écrit depuis l’enfance les aventures d’une princesse russe. Elle espère devenir scénariste à l’anglosaxonne, c’est-à-dire en se mettant à la disposition de cinéastes. Elle est toujours à l’école quand elle entreprend d’écrire l’histoire de cette hystérique, malade du docteur Charcot, Augustine. « En la proposant à des réalisateurs, je me suis rendue compte que le sujet leur faisait peur. J’ai donc décidé de le réaliser moi-même », conclut-elle. Sans réelle appréhension. « J’avais suivi des ateliers à l’école et déjà réalisé des courts-métrages avec Kamen Kalev, poursuit-elle. J’ai pourtant le sentiment d’être passée à la réalisation dans un processus inconscient ».

Kitchen, le court-métrage d’Alice Winocour (2005)

A peine sortie de l’école, des productrices lui proposent de réaliser un film court. Kitchen raconte le combat d’une femme pour tuer des homards. Le film, clairement inspiré par Chantal Akerman, une référence récurrente de son cinéma, est en compétition à Cannes et primé dans de nombreux festivals. « Une aventure exaltante, » selon Alice Winocour, et qui la consacre réalisatrice.

Un processus créatif intimement lié à son inconscient

Une fois Augustine écrit et réalisé, elle rêve d’un film d’action. « J’ai toujours une sorte d’excitation à tourner les scènes d’action…, précise-t-elle. Se met alors en place le processus de création qu’elle juge inconscient mais qu’elle sait être le même pour tous les projets qu’elle a menés à bien. « D’abord, un monde m’attire sans que je sache pourquoi mais il rencontre quelque chose de très intime, très personnel en moi, raconte-t-elle. Pour Maryland, il s’agissait du syndrome post traumatique que je venais de vivre. Pour Proxima, de la séparation mère-fille. Pour Revoir Paris, de l’histoire de mon frère qui était au Bataclan ».

« Plus les choses sont intimes, plus j’ai besoin de prendre de la distance avec. Comme s’il s’agissait de me protéger par la fiction. Je ne cherche pas l’autobiographie, même si mes films parlent toujours de quelque chose de personnel, », analyse-t-elle. Maryland s’intéresse aux soldats des forces spéciales qui rentrent d’Afghanistan, post-traumatisés, Proxima d’une astronaute, une image très peu exploitée en Europe. « Il me tenait à cœur de montrer le paradoxe de l’astronaute, : la figure d’un héros qui fait l’expérience de la fragilité humaine, l’inverse de ce qui est montré dans les films américains », avance-t-elle.

Eva Green dans Proxima (2019)

Une fois ce lien créé, même s’il reste inconscient, commence alors un long travail documentaire, ici auprès de soldats des forces spéciales, là auprès de l’agence spatiale européenne ou des victimes d’attentats, et à chaque fois de psychiatres. Tous ces témoignages nourrissent la fiction. « Comme je mène l’enquête en même temps que je dresse la construction dramaturgique, j’ai toujours du mal à dire ce qui est vrai ou faux dans un film. Pour moi, il n’y a que la réalité du film qui existe et elle provient de tous ces témoignages », confie-t-elle.

Elle applique la même méthode quand elle travaille comme scénariste pour d’autres. « J’ai besoin qu’il y ait ce partage intime, dit-elle. Je me suis sentie la sœur de Maïmouna Doucouré avec qui j’ai collaboré pour Mignonnes ou avec Deniz Gamze Ergüven pour Mustang ».

Féminin/Masculin

Revoir Paris a élevé l’exercice à un niveau supérieur. Son récit est  d’une apparence simplicité mais repose sur une construction complexe. « Il fallait mêler l’enquête que mène l’héroïne pour retrouver cette main tendue, suivre le fil de sa mémoire et celui des fragments des souvenirs des personnages qu’elle rencontre, explique-t-elle. Dans mes films, je parle souvent d’histoires de libération, de gens qui traversent des ouragans intérieurs ».

Souvent, ses héroïnes sont des femmes. « Je ne me pose même pas la question !, s’exclame-t-elle. Je n’ai pas envie de ne raconter que des histoires de femmes, je veux aussi m’emparer de personnages masculins, comme celui de Maryland. Pour Revoir Paris, j’avais l’idée d’une amazone à moto, d’une femme dans une quête obsessionnelle ».

Virginie Efira est Mia, victime d’un attentat à Paris et sur els traces de ce qui lui est arrivé

Pour autant, ses héroïnes féminines ne sont jamais infaillibles. Elles doivent, comme dans la vie, surmonter des épreuves en justifiant leur légitimité et en s’adaptant en permanence à un monde qui a été conçu par des hommes pour les hommes. « Dans Proxima, par exemple, je filme ces scaphandres d’astronautes, désignés pour des corps d‘hommes, avec une répartition du poids sur les épaules alors que les femmes ont plus de force au niveau des hanches. N’empêche qu’elles doivent s’entraîner avec !, s’enflamme-t-elle. Pourtant, je reste convaincue que les plus grands obstacles sont intérieurs, liés à des injonctions auxquelles les hommes n’ont pas à répondre ».

Alice Winocour affirme que le rapport entre masculin et féminin reste un questionnement qui traverse tous ses films. « Dans Augustine, je montre la révolte du corps. Selon moi, l’hystérie est la première manifestation féministe. Quand la parole est impossible –  à l’époque les hystériques étaient souvent des femmes violées et il n’y avait aucune répression pénale – , la seule révolte est celle d’un corps qui crie à travers ces crises.».

Actuellement en écriture de son cinquième long métrage, Alice Winocour prépare un film d’horreur qui, comme Psychose, parlera aux nerfs avant de parler à la tête. Pour ce projet, elle suit la même démarche : ce lien intime, le travail d’enquête… Mais, son intimité semble-t-elle suffisamment riche pour continuer longtemps à faire des films ? « Je n’en sais rien puisque ça se fait malgré moi », reconnait-elle. En revanche, je sais que c’est une nécessité pour moi ».

 

Mes cinq films de réalisatrices préférés

Alice Winocour a trouvé l’exercice difficile, et encore plus, concernant les actrices. « Il y en a tellement… »

1 – Saute ma ville de Chantal Akerman (1971)

Saute ma ville de et avec Chantal Akerman

J’ai vu ce film court lors de mes études à la Femis et il est toujours resté important . Je trouve beau que tout ce qui sera présent dans le cinéma d’Akerman soit déjà dans ce premier film.  J’adore l’idée qu’elle prépare le repas en chantonnant et qu’elle fasse sauter la cuisine à la fin, en allumant le gaz. Ce film a eu une influence directe sur Kitchen mon premier court-métrage. J’adore l’idée faire exploser les codes, de renverser et de détruire.

2 – Démineurs de Kathryn Bigelow (2008)

Démineurs de Kathryn Bigelow

Voilà quelqu’un qui fait exploser les décors mais aussi les codes. Cinéaste à la fois populaire et avant-gardiste, elle mélange la radicalité extrême et le classicisme. J’aime beaucoup ses scènes de guerre, mais aussi celle du supermarché à la fin, quand le soldat revient chez lui. Il erre dans les rayons, et ce temple du capitalisme devient plus mortifère que de la guerre. J’y pense à chaque fois que je reviens de tournage et que je pousse un caddie dans un supermarché…

3 – La Cienaga de Lucrecia Martel (2001)

La Cienaga de Lucrecia Martel

C’est un film auquel je pense beaucoup en écrivant et dont j’aime le côté sensoriel, la moiteur, le huis-clos qui devient autant politique qu’il est intime. C’est aussi vrai dans son film suivant, la Nina Santa, tout aussi charnel.

4 – Les poings desserrés de Kira Kovalenko (2021)

Milana Aguzarowa dans Les poings desserrés

Une tout jeune cinéaste, issue de cette école du cinéma russe contemporain, très ardent, très brut, âpre et très fort. Un cinéma très physique, extrême parfois.

5 – Aftersun de Charlotte Wells (2022)

Frankie Corio et Paul Mescal dans Aftersun de Charlotte Wells

Un film qui m’a fait penser à Somewhere de Sofia Coppola, que j’avais beaucoup aimé et qui traitait aussi d’un rapport père/fille. Ce que je trouve très beau, c’est l’attention à filmer des souvenirs, des détails. C’est un cinéma de la perception, inspirant, qui repose, sur la performance incroyable des deux acteurs. Le regard de cette réalisatrice est très rare et très beau.

Cinq prestations d’actrices inoubliables

1 – Sigourney Weaver dans Alien, le retour de James Cameron (1986)

Sigourney Weaver dans Aliens, le retour de James Cameron

J’ai longtemps eu sa photo dans mon bureau. Elle m’a inspirée pour Proxima. J’aime bien ces personnages de combattantes et son élan de fragilité mélangée à la force. Le personnage avait été écrit pour un homme. Il a ensuite été décidé de le faire jouer par une femme pour qu’on ne croit pas qu’il puisse survivre. J’aime aussi le physique de Sigourney Weaver qui mélange féminité et masculinité.

2 – Julianne Moore dans Safe de Todd Haynes (1995)

Julianne Moore dans Safe de Todd Haynes

Un de mes films de chevet, que je revois tout le temps comme dans mon enfance. Mais, Safe a vraiment une place à part. Je l’ai montré à Virginie Efira en préparation de Revoir Paris. C’est un film d’horreur interne, avec une héroïne dans une autre dimension.

3 – Aurore Clément dans Les rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman (1978)

Aurore Clément dans Les Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman

Aurore Clément m’inspire par les choix de cinéma qu’elle a fait. D’Akerman à Wenders à Coppola.  Son exil intérieur dans ce film me touche.

4 – Sonia Braga dans Aquarius de Kleber Mendonça Filho (2016)

Sonia Braga dans Aquarius

Sa performance est incroyable. C’est beau de voir une actrice qui irradie un film de sa présence. Son côté star du passé lui vient avec des blessures mais elle reste une combattante. J’aime sa révolte et son obstination.

5 ) Kirsten Dunst dans tous ses films

Kirsten Dunst dans Melancholia de Lars von Trier

Je l’aime dans Melancholia de Lars von Trier mais aussi dans The power of the dog de Jane Campion où elle est si émouvante et évidemment dans Virgin Suicides ou Marie Antoinette où elle garde une émotion d’une très grande force, une beauté et une fragilité intérieure. Elle parvient à être sur le fil tout en restant charnelle. J’espère travailler un jour avec elle.

©Aurélie Lamachère/ Pathé distribution/ ARP Sélection/20th century fox/Sarah Makharine/ Les films du Losange
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