Jackie

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Comment parler au cinéma d’un personnage célèbre – donc fédérateur- sans en faire un biopic? C’est à ce travail d’équilibriste que convoque Pablo Larrain avec son Jackie, Kennedy bien sûr.

Cinéma d’icône

Surtout éviter à tout prix le « piège » du biopic. Un leitmotiv des réalisateurs auteurs quand pourtant des maestros s’y sont frottés avec talent et succès. Milos Forman est un des maîtres en la matière. Qu’il s’agisse du classique et pourtant décapant Amadeus ou du lunaire Man in the moon.

Jackie- Cine-Woman
Caspar Phillipson (John F.Kennedy) et Natalie Portman (Jackie) à Dallas

Le biopic a si mauvaise presse qu’il convient à tout prix de le repenser, de le malaxer, parfois même de le torturer pour obtenir les faveurs des uns. Rarement l’attention du public qui préfère les histoires racontées simplement (moi aussi). ce qui n’empêche pas d’appréhender au plus près les faces sombres d’un personnage comme le récent Dalida de Liza Azuelos.

Jackie, un biopic qui s’ignore

Fort d’un Neruda abscons, Pablo Larrain se frotte au genre avec une ambition très haute, en s’attaquant au monument qu’est Jackie quand elle était encore Kennedy. Et il prend ce précepte du biopic sans l’être à la lettre.

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Natalie Portman est Jackie quand elle découvre la Maison Blanche

Règle n°1 : choisir un personnage célèbre, très célèbre et connu dans le monde entier.  Et si possible auquel aucun réalisateur, surtout de renom, ne se soit frotté. Pour le coup, Jackie était parfaite. En plus d’être archi connue, elle fut controversée pour son second mariage avec l’armateur grec milliardaire Onassis puis réhabilitée puisque son premier mari la trompait à tire- larigot. Et jamais traitée comme un personnage à part entière. Mais toujours la femme de.

Les recettes de l’anti-biopic

Règle n°2 : ne s’intéresser qu’à une partie de sa vie. Mieux encore à un élément précis mais qui devient, par un truchement purement cinématographique, un éclairage suffisamment fort du personnage. Coluche se présentait à l’élection présidentielle. Chanel avait une liaison avec Igor Stravinsky. Jackie a dû se reconstruire dans les mois qui ont suivi l’assassinat de son mari, le 35e président des Etats-Unis.

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Quand Jackie (Natalie Portman) et ses enfants accompagnent la dépouille de JFK

En général, le choix de l’événement est contestable. Dans le cas de Coluche c’est le moment le moins passionnant de sa vie. (mais bon). C’est aussi le cas ici. Plutôt que de sonder ce qui la détache du clan Kennedy ( et qui sous-entend qu’ensuite elle sera une femme libre, ah bon?), il aurait été plus intéressant de savoir pourquoi elle avait décidé d’adhérer au clan, et à quel prix.

Un prisme insuffisant

Ce choix parcellaire impose au spectateur de bien connaître en amont la vie du personnage pour le comprendre, l’apprécier et le justifier. Ce prisme n’est jamais suffisamment éclairant pour ne pas nécessiter des astuces narratives qui permettent de saisir la complexité du personnage. Jackie a besoin de tout un jeu de flash-backs pour éclairer sa réaction post-assassinat.

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Peter Sarsgaard (Bobby Kennedy) et Natalie Portman (Jackie)

Certains sont formidables quand ils détournent des images d’archives et d’actualités pour les prolonger par Natalie Portman -les descentes d’avion par exemple. D’autres sont archi caricaturales quand il la montre en potiche absolue faisant visiter la Maison Blanche en expliquant quelle en sera la nouvelle décoration ( même si ces scènes servent à montrer le chemin qu’elle a parcouru).

J’étais une Kennedy, confie Jackie

Règle n°3 : pour dynamiser une telle confession – qui est le format de ce film, plus que celui d’un biopic- il faut un confesseur. Quelqu’un à qui le personnage se livre, s’explique. Ce qui fait avancer l’intrigue. Jackie en a plusieurs.

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Billy Crudup le journaliste chargé de dresser le portrait de Jackie pour Life

Elle a d’abord un journaliste qui vient la voir chez elle, une fois qu’elle est retirée du devant de la scène. Il est chargé de recueillir ses impressions et de dresser son portrait. On ne sait rien de lui, même pas son nom. Ce qui le résume à un pur principe narratif. Elle a aussi un prêtre, pas d’amies, un beau-frère et des belles-sœurs.

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John Hurt (le prêtre) et Natalie Portman (Jackie)

Ce principe est intéressant quand il est motivé. Salieri était pétri de jalousie envers Mozart, par exemple. Ici, il semble totalement artificiel. L’ambition de Pablo Larrain est de sonder l’âme de Jackie. De montrer à quel point l’assassinat de son mari a été le moteur d’une transformation chez elle – « j’étais une Kennedy » dit-elle à un moment du film- de son accomplissement. Mieux aurait valu la voir se confier à un psy ou à une amie. En aucun cas à un journaliste qu’elle finit par manipuler.

Une rencontre ratée

Consacrer un film à Jackie, Kennedy, Bouvier ou Onassis, était une belle idée. Son destin est incroyable, et même s’il est connu, on saisit mal ses motivations. Elle était jeune et cultivée quand elle est devenue Première Dame. Elle a aussi longtemps survécu à un clan puissant mais disloqué. Puis s’en est détachée. Lui donner la parole, tenter de la comprendre était intéressant. Confier son personnage à Natalie Portman, une évidence que l’actrice relève avec brio.

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Natalie Portman est Jackie

Mais, ici la rencontre n’a pas lieu. On est saisi d’effroi par ce qu’elle a dû traverser. Mais sans jamais bien comprendre ce qui l’a motivée à être là, telle qu’elle le fut. Et le film ne répond pas cela.

De Pablo Larraín, avec Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig, Billy Crudup, John Hurt…

En 2016, Jackie de Pablo Larrain a reçu le prix du meilleur scénario à la Biennale de Venise et le platform prize au festival de Toronto.

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